« Pessah est un hymne à l’espoir »

J.Jusqu’au 30 avril, les Juifs du monde entier célèbrent la Pâque, qu’ils appellent Pessah. Pauline Bebe, première femme rabbin de France, issue de la communauté libérale, nous en dit plus sur cette célébration, moment fort du judaïsme et qui, en cette année 2024, alors que 133 otages sont encore aux mains du Hamas, a dans sa signification un densité singulière.

Le Point : Quelle est la signification de la fête juive de la Pâque ?

Pauline Bébé : C’est la célébration de la liberté. Nous commémorons l’épisode de l’Exode d’Egypte, tel que relaté dans Le Livre de l’Exode, chapitre 12, relatant la fuite des enfants d’Israël, après les dix plaies infligées par la colère divine au royaume de Pharaon. Au début, pour une soirée, voire deux pour les plus religieux, on fait un repas appelé « seder » qui signifie « ordre », et qui commémore la fuite des Hébreux devant l’ordre de Pharaon de sacrifier tous les nouveau-nés. Le repas « seder » est ponctué de gestes très précis. Il ne s’agit pas seulement de raconter cet épisode biblique, au cœur de notre foi, mais d’en revivre l’histoire. C’est là la force du judaïsme : sa pédagogie. Les rites se transmettent ainsi de génération en génération. Les enfants sont au centre de la fête, la soirée commence par leurs questions, souvent plus importantes que les réponses car elles ouvrent des perspectives. La Pâque est aussi un moment pour l’éducation à la diversité.

Il y a par exemple quatre verres de vin consommés chacun suite à une bénédiction. On se lève, on se rassied, on s’incline sur le côté gauche comme le faisaient les Romains en signe de liberté lors des repas qu’on appelait « colloques ». Le repas se déroule en quinze étapes. Le plateau « Seder » comporte trois symboles. D’un côté, la « matza » qui est le pain sans levain, pain de misère et de liberté. De l’autre le « maror », composé d’herbes amères qui rappellent la servitude des enfants d’Israël en Egypte. Enfin, l’agneau offert en sacrifice par les Hébreux avant leur départ est symbolisé par un os, ou une betterave pour les végétariens. Il y a aussi de l’eau salée sur la table qui représente les larmes des enfants d’Israël. Et une pâte composée de fruits mélangés, qui représente à la fois le mortier utilisé pour construire les briques des maisons et les fruits présents dans le chant des chansons. En ingérant ces aliments, nous revivons l’histoire de nos ancêtres. Quand on mange un morceau de pain sans levain, on ingère un peu de liberté. Avec les herbes, on intègre l’amertume. La pâte de fruit contient le goût de la liberté. C’est tout un processus qui nous rappelle l’espoir. Malgré toutes les oppressions qu’il subit, le peuple juif s’en est toujours sorti. La Pâque est un hymne à l’espérance.

D’où vient le nom de Pâque ?

Littéralement, ce mot signifie « passer ». Il rappelle le passage de l’ange de la mort, au-dessus des maisons où les Hébreux se réfugiaient pour se cacher de l’oppression de Pharaon. Lors de cette Pâque juive, nous nous réjouissons que nos ancêtres aient pu sortir d’Egypte, mais nous n’oublions pas nos morts.

En quoi est-ce différent ou similaire à la Pâques chrétienne ?

Le lien est la Dernière Cène de Jésus avec les apôtres qui est très probablement un « seder » de la Pâque juive. Je ne suis pas prêtre, mais l’idée directrice est à mon avis la même. La Pâque chrétienne ne commémore pas le passage de l’esclavage à la liberté, mais elle contient des idées communes à toutes les religions, notamment l’égale dignité de la personne humaine. Nous invitons donc tout le monde à partager notre repas. Cette année, nous penserons évidemment aux otages qui vivent aujourd’hui dans l’oppression et ne peuvent être présents avec nous à cette célébration de la liberté. De nombreux rabbins ont suggéré en leur nom de laisser une place libre à la table.