Pas moins de 700 000 tonnes de vêtements sont jetées chaque année en France. Dans l’espoir de réduire ces montagnes de déchets, le gouvernement français crée un précédent en offrant un « bonus » au patch. La mesure s’étend également aux vieilles chaussures.
L’objectif est de convaincre qu’il est plus avantageux de réparer que de jeter.
Concrètement, ceux qui feront réparer des jeans ou réparer des chaussures obtiendront une réduction de leur facture de 6 à 25 euros (de 8,83 $ à 36,78 $). Réparer un trou dans un pull, remplacer une doublure ou une fermeture éclair : l’éventail des réparations éligibles sera large.
Le « fonds de réparations » débloqué par l’État est de 3,7 millions d’euros en 2023 ; il atteindra 11 millions en 2024.
Afin de gérer ces primes, l’État français a confié à l’éco-organisme Refashion le mandat de recenser et de « labelliser » les ateliers de couture et de cordonnerie. Charlotte Roussel, consultante et porte-parole de Refashion, affirme que le recrutement de la main-d’œuvre, avec des webinaires et du porte-à-porte, est en cours.
Lors d’un échange avec La presse, l’expert a précisé que les clients français auront d’abord droit à cinq réductions de prix côté textile et quatre côté chaussures. La mesure sera en vigueur à partir d’octobre prochain.
Il y aura certainement une sorte de cartographie des endroits où effectuer les correctifs. Nous sommes nous aussi en pénurie de main d’œuvre, une de nos missions sera de revaloriser ce savoir-faire.
Charlotte Roussel, consultante et porte-parole de Refashion
Des tonnes et des tonnes de tissus jetés
Au Québec, les textiles représentent près de 6 % des matières jetées, selon les données recueillies en 2019-2020 par Recyc-Québec. On parle de 292 000 tonnes sur cette période. Une hausse de 3,1% en 10 ans.
Au gouvernement, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déjà annoncé un projet de loi relatif au droit à la réparation des appareils électroménagers et électroniques. À son bureau, la conseillère politique Justine Gravel a indiqué à La presse qu’il est « prioritaire » de mieux protéger les droits des consommateurs et leur pouvoir d’achat, surtout dans le contexte actuel d’inflation.
« Dans le cadre de ce projet de loi, nous avons ciblé les biens qui font l’objet d’un grand nombre de plaintes auprès de l’Office de protection du consommateur. Cela dit, nous suivons de près ce qui se fait en Europe et ailleurs dans le monde, afin que le Québec continue d’être un leader en matière de protection des consommateurs », a-t-elle ajouté.
Un engouement pour le patching
À l’Atelier Couture D, sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal, on trouve des bobines de fil de toutes les couleurs, jusqu’au plafond. Pendant la pandémie, les bals se sont arrêtés, tout comme les mariages. Une grande partie de la clientèle est restée en télétravail. Le propriétaire, Pierre Dextrase, explique avoir été contraint de louer une partie de son atelier. Il était entouré de cinq couturières ; il n’en reste qu’un.
Mais aujourd’hui, le créateur constate un engouement pour le rapiéçage des vêtements. De plus en plus de clients viennent faire ajuster la taille de leur pantalon. Pour certaines réparations, il faut souvent attendre deux semaines.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Pierre Dextase, propriétaire de l’Atelier Couture D. Selon lui, il est essentiel de revaloriser le métier.
« Au Québec, je crois que la première étape consiste à revaloriser la profession. La couture est un art. Malheureusement, il y a une grave pénurie de main-d’œuvre. Remplacer un fermoir de manteau demande beaucoup de travail. Il faut commencer par le défaire, le découdre, le refaire. Cela peut facilement prendre 45 minutes. Nous devrions être reconnus au même titre qu’un mécanicien. »
Chez lui, refaire le bord d’un pantalon coûte environ 18 dollars.
Jonathan Laplante est le gérant des 14 ateliers de retouche. Une chose mène à une autre. Il remarque également un engouement pour la couture. Mais il n’en reste pas moins qu’il coûte souvent moins cher d’acheter du neuf que de réparer. Et lui aussi a un défi de recrutement.
J’arrive à recruter dans des communautés issues de l’immigration. Nous avons de bons programmes de création de mode, mais les gens ne s’intéressent pas à la couture. C’est dommage car la clientèle est là.
Jonathan Laplante, directeur des ateliers de retouche Une chose en entraînant une autre
La Grappe Métropolitaine de la Mode est un organisme visant à contribuer à la croissance de l’industrie de la mode québécoise. Son directeur général, Mathieu St-Arnaud Lavoie, explique qu’il existe déjà un mouvement pour récupérer la fourrure, revaloriser les cuirs, le denim et promouvoir l’écoconception. Selon lui, le Québec devrait s’inspirer de la France avec son bonus de patching.
« Je crois qu’il y a une paresse collective, il y a un manque de compréhension de la réparation. Le bonus est une excellente idée. Mais tout le monde vous dira que la première étape consiste à fidéliser le personnel de conception. »
Appel à idées textiles
Les municipalités de Montréal et de Gatineau ont décidé de franchir une étape supplémentaire en matière de déchets textiles en lançant un appel d’offres technologique. L’objectif : réduire les tonnes de textiles envoyées en décharge en favorisant la réutilisation ou le recyclage. Les deux villes demandent à soumettre des technologies permettant de trier les tissus par couleur et composition. Pour la préparation des textiles (ex : dépersonnalisation, nettoyage, réparation, upcycling) ou leur recyclage (ex : élimination des points durs, découpe, déchiquetage, défibrage, etc.). Et enfin, recycler mécaniquement ou chimiquement. Dans la grande région de Montréal, 54 organismes et 40 friperies (entreprises privées) récupèrent des textiles en bon état afin de les revendre localement ou à l’exportation.
Source : TechniTextile Québec
Apprendre encore plus
- 1,2 milliard
- La production de vêtements génère 1,2 milliard de tonnes de CO par an2plus que les émissions combinées de l’industrie aérienne et maritime
- 17 tonnes
- La production d’une tonne de textile génère 17 tonnes de CO2. A titre de comparaison, produire une tonne de plastique génère 3,5 tonnes de CO2.
Source : Commission de l’eau, de l’environnement, du développement durable et des grands parcs, dans le cadre de la consultation publique sur le projet de Plan directeur de gestion des matières résiduelles 2020-2025 de l’agglomération de Montréal
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