LLe nouveau Premier ministre, Michel Barnier, n’avait pas entièrement tort lorsqu’il déclarait le 6 septembre que les frontières sont « passoires » : pour beaucoup, ils le sont, en effet. C’est d’abord vrai pour les Français eux-mêmes : dotés, à l’instar des Allemands, des Italiens ou des Espagnols, d’un des passeports les plus “puissants” du monde, ils peuvent se rendre dans plus de 190 Etats sans avoir besoin d’obtenir un visa au préalable.
La frontière est aussi une « passoire » pour les diplomates et hauts fonctionnaires d’Etat qui, comme M. Barnier par exemple, disposent de passeports spécifiques leur permettant d’accéder facilement aux territoires étrangers. Mais la liste s’arrête là : pour d’autres, la frontière ne se franchit qu’à un autre prix – parfois, celui d’une vie.
Ce prix est d’abord celui du visa, obligatoire, à quelques exceptions près, pour entrer sur le territoire français et dont la délivrance est soumise à des procédures longues et coûteuses, aux résultats incertains.
Ainsi, en 2023, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 500 000 ont été refusés – un chiffre similaire en 2022. S’il est vrai que près de 2,5 millions de visas ont néanmoins été accordés en 2023, la plupart l’ont été pour des séjours de courte durée, correspondant à des visites, notamment touristiques, de moins de trois mois : seuls 12 % des visas accordés concernaient un long séjour.
Un nouveau paquet législatif
Faut-il alors considérer qu’un visa ne serait pas indispensable et qu’entrer sur le territoire français serait aisé sans visa ? Il n’en est rien : au-delà du fait que cela interdit toute arrivée par voie aérienne, il faut rappeler que l’Union européenne a, depuis de nombreuses années déjà, mis en place des partenariats avec des pays tiers (le Maroc ou la Turquie, pour ne citer que deux exemples) destinés à limiter les arrivées irrégulières sur le territoire de ses États membres, et qu’elle a adopté en mai un nouveau paquet législatif qui renforcera encore ces contrôles.
La France elle-même a rétabli depuis près de dix ans des contrôles à ses frontières intérieures et peut, en vertu du règlement Dublin, transférer les demandeurs d’asile qui tentent d’y être protégés vers l’État membre par lequel ils sont entrés. Pour ceux qui tenteront malgré tout l’exil, le prix sera celui du contournement de ces procédures : au moins 5 000 euros, souvent trois ou quatre fois plus pour les passeurs de migrants.
C’est apparemment sans cynisme que le nouveau Premier ministre a choisi de décrire les frontières comme « passoires » Deux jours seulement après la mort de douze personnes dans la Manche, victimes de ces complexités. Car les personnes bloquées à Calais et tentant de rejoindre le Royaume-Uni sont dans la même situation que celles bloquées au Maroc, en Turquie ou en Libye et tentant de rejoindre l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. Contrairement aux Français, aux Italiens ou aux Espagnols – et à leurs Premiers ministres – la frontière n’est pas pour eux une passoire mais, trop souvent, un piège mortel.