pour Jean Viard, « la culture du jardin est la première activité des Français, la vraie France, elle est là »

Le printemps est là. De nombreux Français passeront le week-end à tailler, semer ou encore planter. Les jardins sont des lieux de partage, de vie de famille, des lieux où l’on se régénère. 15 millions de Français possèdent un potager, et 70 % possèdent un jardin, explique le sociologue Jean Viard.

franceinfo : Avoir un jardin est-ce si courant ?

Jean Viard : C’est très répandu. C’est pour cela qu’il faut en parler, car on ne parle que d’inflation, de jeunesse, de violence et d’immigration. La grande question des Français en ce moment, c’est le jardin. Tout d’abord, près de 70 % d’entre nous possèdent un jardin. Par ailleurs, il reste encore 4 millions de familles qui possèdent deux maisons, une résidence secondaire, une maison principale. Et puis il y a probablement peut-être 1 million de personnes dans nos périphéries urbaines, qui possèdent une maison en Algérie, au Maroc, au Portugal, etc.

Ainsi en fait, la culture du jardin est la première activité des Français. La vraie France est là. C’est important de le dire parce qu’on parle comme si c’était périphérique. C’est complètement central. Ainsi après ce jardin, il est devenu une pièce de la maison. C’est à dire qu’il y a bien un potager, certes, mais c’est aussi un barbecue, c’est un point d’eau.

Alors, le point d’eau, il y a 3 millions de Français qui ont une piscine mais il y en a évidemment beaucoup qui n’en ont pas, mais ils peuvent avoir une piscine gonflable. C’est une table dehors, une vie sociale dehors où je pourrai recevoir des amis, boire du rosé, griller des saucisses, et puis les enfants se jetteront à l’eau.

Est-ce cela ce qu’il représente dans l’imaginaire collectif, le jardin est-il un lieu de partage ?

Mais oui, il faut dire que notre société se bat évidemment pour la question climatique, mais cela a aussi conduit à une valorisation de plus en plus positive du rapport physique avec la nature. Car la bataille climatique est aussi charnelle. Il y a un plaisir à s’asseoir sous un arbre qu’on a soi-même planté, et à se dire : je l’ai planté il y a 40 ans, j’ai 40 ans de plus. Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais l’arbre est magnifique. Je vis ça, parce que j’ai planté beaucoup d’arbres, comme si mon temps avait effectivement été transféré sur l’arbre, et l’arbre, il est magnifique, je m’assois dessous et je me dis : j’ai passé mon temps à l’arbre, et il est en pleine enfance.

Et puis il y a une deuxième chose qui entre en jeu, c’est que le jardin doit être fait avec soin. C’est compliqué, nous avons des échecs. Regardez les potagers, il y a 15 millions de Français qui possèdent un potager. Historiquement, c’est surtout à l’Est et au Nord qu’il s’agissait d’une vieille tradition ouvrière. D’ailleurs, dans les colonies, il y a toujours un potager derrière la maison où il y a deux petits jardins, un jardin côté rue, là, on montre qu’on est bien organisé, qu’on a quatre rosiers, qu’on coupe l’herbe, c’est une mise en scène.

Et puis derrière la maison, il y a soit une cour, soit un petit potager. Un petit potager peut rapporter entre 100 et 150 euros par mois, pendant la période de production, avec quelques produits, tomates, fraises, etc., qui sont peut-être des choses que l’on n’achètera pas, car c’est trop cher. .

Et ce n’est pas négligeable dans un contexte où on a connu de longs mois avec beaucoup d’inflation, sauf le mois dernier où elle a ralenti ?

Je dis aux gens : Jardin ! Fabriquez ces produits en particulier. C’est comme les poules : deux poules mangent tous les déchets d’une famille de quatre personnes, cela suffit à les nourrir. Vous avez deux œufs par jour. On ne connaît pas toute cette économie populaire, on a tendance à la mépriser un peu. Cependant, c’est très important car ce sont des produits de qualité.

Il y a une joie à offrir à vos enfants une tomate que vous avez cultivée dans votre jardin, qui est énorme et il faut le souligner. Oui, on me parle trop de la société urbaine, on me parle trop de ces crises qu’on exacerbe à longueur de journée. Je dis : pensez à vos jardins, pensez à nos jardiniers.