Pourquoi et comment TikTok a été bloqué en Nouvelle-Calédonie

Une barricade à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 16 mai 2024.

Gabriel Attal a annoncé, mercredi 15 mai au soir à Paris, que le haut-commissaire pour le territoire français du Pacifique, Louis Le Franc, avait « TikTok interdit » sur toute l’île, en plus d’une série de mesures visant à rétablir l’ordre, notamment le déploiement de militaires pour protéger les sites stratégiques.

Pourquoi TikTok est-il bloqué en Nouvelle-Calédonie ?

Ni M. Attal ni M. Le Franc n’ont précisé pourquoi TikTok était particulièrement visé. Or, selon des messages d’élus locaux postés par des internautes calédoniens sur Facebook, l’application aurait été ciblée car elle «des messages de haine et des appels à la violence circulent». Depuis trois jours, la Nouvelle-Calédonie est le théâtre d’intenses affrontements, qui ont fait quatre morts, dont un gendarme, alors que des indépendantistes kanak s’opposent à une réforme contestée du corps électoral local.

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Sur quelle base juridique le gouvernement s’appuie-t-il ?

Ce blocage est rendu possible par l’instauration de l’état d’urgence mercredi soir (heure de Paris). Ce dispositif temporaire permet à l’État de prendre des mesures exceptionnelles et de limiter certaines libertés publiques pour faire face à une situation particulièrement grave. Il permet notamment au Premier ministre de demander, sur le territoire, le blocage d’un service de communication publique en ligne. « provoquer ou préconiser la commission d’actes de terrorisme ».

Les autorités disposent d’autres moyens juridiques pour bloquer des applications ou des sites Internet sur le territoire, mais l’état d’urgence offre le régime le plus rapide dans ce domaine. Le blocage administratif des sites terroristes ou pédopornographiques impose par exemple un délai d’au moins 24 heures.

Techniquement, comment bloquer un réseau social ?

La méthode principalement utilisée par les autorités françaises pour bloquer l’accès à un site ou à une application repose sur l’utilisation du système des noms de domaine (« Système de noms de domaines », en anglais, ou DNS), le système de référencement qui renvoie un internaute vers le bon serveur lorsqu’il tente d’accéder à un nom de domaine. Chaque opérateur dispose de son propre registre qui associe Tiktok.com à l’adresse des serveurs du réseau social. En cas de blocage, les autorités demandent aux opérateurs de « mentir » leur DNS et de renvoyer les internautes vers une adresse erronée.

Cette méthode très simple fonctionne aussi bien pour la navigation sur un ordinateur que pour l’application TikTok, qui a besoin de communiquer avec les serveurs du réseau social pour mettre à jour votre fil d’actualité et charger des vidéos. Il est néanmoins considéré comme fragile car il peut être contourné aussi bien sur un ordinateur que sur un smartphone, où il est possible de changer ses DNS pour ne pas utiliser ceux de son opérateur ou fournisseur d’accès.

Selon des témoignages publiés en ligne d’habitants de l’île, seule l’application mobile TikTok est concernée par le blocage, ce que confirme le cabinet du Premier ministre à BFM-TV. L’infrastructure de téléphonie mobile de Nouvelle-Calédonie est en effet entièrement gérée par un seul opérateur, Mobilis, qui appartient à l’Office des Postes et Télécommunications de Nouvelle-Calédonie. Ce qui rend un blocage généralisé bien plus simple et rapide à mettre en place que si la mesure avait concerné la métropole et sa multitude d’opérateurs.

Y a-t-il eu des précédents ?

Non. En France, et plus largement dans l’Union européenne, cela semble être une première. À l’été 2023, lors des émeutes qui ont touché de nombreuses villes de France métropolitaine, Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’une « couper les réseaux sociaux » quand « les choses deviennent incontrôlables ». Le ministère de l’Intérieur avait particulièrement pointé du doigt la fonctionnalité « carte » de Snapchat, estimant que cet outil affichant en temps réel les lieux où sont publiées de grandes quantités de messages aurait pu jouer un rôle dans des attroupements sauvages, ce qui n’est pas prouvé.

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Qu’en disent les principaux acteurs ?

Contacté, TikTok n’a pour l’instant pas réagi à ce blocage. La mesure a été décriée, sur d’autres réseaux sociaux, par des partisans des indépendantistes calédoniens, des militants des droits de l’Homme qui y voient une mesure répressive, mais aussi des personnalités des mouvements décoloniaux et pro-russes. Le député de la majorité Eric Bothorel (Renaissance) a pris la parole publiquement interrogé mercredi sur le fait que cette mesure pourrait être  » (contreproductif) en contribuant à alimenter le récit de ceux qui cherchent à nous nuire en désignant l’État français de liberticide ».

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