Pourquoi la France emprunte-t-elle désormais à un taux plus élevé que l’Espagne ?

Pour la première fois depuis 2006, le taux d’emprunt à dix ans de la France a dépassé celui de l’Espagne.

Du jamais vu depuis dix-huit ans. Pour la première fois depuis novembre 2006, le taux auquel la France emprunte à dix ans sur le marché de la dette a dépassé celui de l’Espagne, jeudi 26 septembre. “Selon les dernières données, le taux d’emprunt de la France s’élève à 2,9%, contre 2,88% pour l’Espagne”précisions pour franceinfo Stéphanie Villers, spécialiste de la zone euro et conseillère économique chez PwC France.

Le taux d’emprunt à dix ans est “considéré comme le taux de référence par les marchés financiers”explique l’expert. Il reflète la confiance des investisseurs dans la capacité d’un pays à rembourser sa dette. Traditionnellement, la dette des États les plus puissants économiquement bénéficie de taux plus bas. Ce basculement entre les taux demandés à Madrid et à Paris signifie donc que les investisseurs considèrent qu’il est un peu plus sûr de détenir de la dette espagnole que de la dette française.

Depuis plusieurs années, l’écart entre les taux d’emprunt de la France et ceux des pays du sud de l’Europe tend à se réduire. Avec une maturité de prêt de cinq ans, la dette française s’échange également désormais à un taux plus élevé que celui de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce. A dix ans, le taux français est inférieur à celui d’Athènes, mais supérieur à ceux de Lisbonne ou de Madrid. “Dans l’ensemble, il y a une tendance à l’amélioration dans ces paysanalyse de l’AFP Aurélien Buffault, directeur de la gestion obligataire chez Delubac AM. La Grèce, par exemple, a fait faillite en 2012, mais douze ans plus tard, l’écart entre les taux d’emprunt français et grecs (à dix ans) n’est plus que de 0,16 point de pourcentage”fait-il remarquer.

Une tendance qui s’explique en partie par une croissance soutenue dont bénéficient ces pays. L’Espagne est “devenir à nouveau l’une des locomotives de la zone euro”, décrypte Aurélien Buffault. La Banque d’Espagne prévoit une croissance de 2,8% d’ici la fin de l’année, un niveau bien supérieur à la moyenne de la zone monétaire (0,8%, selon la BCE). En France, l’Insee prévoit une hausse du produit intérieur brut (PIB) de 1,1 %.

Dans le même temps, les pays du sud de l’Europe ont également pris des mesures pour « promouvoir la consolidation des comptes publics »souligne Stéphanie Villers. « En 2010, le Portugal avait un déficit budgétaire de 10 % de son PIB, mais le pays a fait les efforts nécessaires, surtout au cours des cinq dernières années »déclare Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM, avec La Tribune. « Ainsi, en 2017, l’écart avec la France sur les taux à 10 ans était de 300 points de base alors que ces derniers jours, il était de 20 points de base… et cette fois en faveur du Portugal »note-t-il.

La France, à l’inverse, observe une « poursuite de la dégradation de ses comptes publics »poursuit Stéphanie Villers. Le déficit public français « risque de dépassement » 6% du PIB en 2024, contre 5,1% initialement attendus, selon le ministre du Budget. « La situation de nos finances publiques est grave »a concédé Laurent Saint-Martin mercredi devant la commission des Finances de l’Assemblée. A titre de comparaison, le gouvernement espagnol entend ramener le déficit sous la barre des 3% d’ici la fin de l’année.

“La France a déjà connu un déficit d’une telle ampleur, notamment pendant la crise du Covid, car l’Etat était intervenu massivement pour couvrir une partie des dépenses essentielles, comme le chômage partiel.se souvient Stéphanie Villers. Cependant, aujourd’hui, il n’y a aucune raison pour que le déficit soit si abyssal par rapport à d’autres pays européens. C’est ce qui inquiète les marchés.” argumente l’économiste.

Ces prévisions sont d’autant plus scrutées par les marchés que la France fait l’objet, avec sept autres pays (Belgique, Hongrie, Italie, Malte, Pologne, Roumanie, Slovaquie), d’une procédure de déficit excessif devant la Commission européenne. Le gouvernement a jusqu’au 31 octobre pour présenter à Bruxelles sa trajectoire de redressement des comptes publics.

L’incertitude politique des derniers mois interroge également les investisseurs sur la capacité de la France à redresser ses comptes. « Pour l’heure, même si la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre a pu rassurer les marchés financiers, il n’en reste pas moins que la présentation du budget pour 2025 traîne. » souligne Stéphanie Villers. Le projet de loi de finances, traditionnellement envoyé au Parlement avant le 1er octobre, ne sera présentéla semaine du 9 octobrea prévenu Laurent Saint-Martin.

«Cette urgence et ce manque de visibilité inquiètent les marchés.»

Stéphanie Villers, économiste

sur franceinfo

Faut-il pour autant s’inquiéter de cette hausse du taux d’emprunt ? “Même s’il y a une incertitude sur la situation budgétaire (…), la dette française trouve toujours acheteur”rassure La Tribune Jérôme Creel, économiste à l’OFCE, qui assure que la France n’a aucune difficulté à emprunter.

Cette augmentation sera cependant “nous pénaliser à long terme”, nuance Stéphanie Villers, car cela va encore augmenter les sommes dépensées par l’Etat pour rembourser sa dette. Or, le poids de la dette, c’est-à-dire le seul paiement des intérêts, devrait déjà passer de 46,3 milliards d’euros en 2024 à plus de 72 milliards en 2027, selon le programme de stabilité élaboré par le précédent gouvernement en avril. « Les intérêts de la dette de l’Etat seraient ainsi plus proches d’ici 2027 des dépenses de l’Éducation nationale, premier poste budgétaire avec 87 milliards d’euros »a prévenu en juillet un rapport de la commission sénatoriale des finances.

A ce stade, la situation de la France est encore loin de la crise de la dette de la zone euro au tournant des années 2010. À l’époque, « les spreads de taux avaient augmenté beaucoup plus »rappelle Eric Dor, directeur des études à l’IESEG, Ouest de la France. « Mais méfiez-vous. Il ne faut pas trop provoquer les marchés”il prévient. Cette hausse du taux d’emprunt constitue pour l’instant “une première alerte”dit Stéphanie Villers. “Mais si le budget 2025 n’est pas voté, s’il y a des tensions qui conduisent à une motion de censure et à une démission du gouvernement, alors il y aura un risque de tensions supplémentaires”juge l’économiste.

Elise

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