SSi l’Iran et Israël ne représentaient qu’eux-mêmes, les conséquences ne seraient pas mondiales. C’est la face cachée d’une crise qui ne prend pas les attributs d’un problème, mais d’un symptôme, d’une tentative de vengeance contre l’Occident de la part de ceux qui ont tenté de lui ressembler sans y parvenir.
Avec la Russie, l’Inde, la Turquie et la Chine, l’Iran est le cinquième empire politique et religieux à se réveiller en ce début de XXIe siècle.e siècle, pour le moins bruyant. Malgré leurs différences, leurs ambitions et leurs convictions parfois contradictoires, ils neutralisent les antagonismes en concentrant leur haine sur leur admiration d’hier. Israël est l’avant-poste, comme une anomalie intolérable de la géographie et donc de l’histoire, c’est pourquoi, selon leur logique, il doit être le premier à payer.
LIRE AUSSI Iran, les missiles de la haineDans son dernier essai*, et au terme d’une étonnante démonstration de densité et d’agilité, Jean-François Colosimo revient, entre autres, sur le retournement spectaculaire de Téhéran. A voir des mollahs dont le vocabulaire (menaçant), la tenue vestimentaire (médiévale), le raisonnement (rudimentaire) correspondent à la caricature d’une théocratie arriérée, on finit par oublier que l’Iran était autrefois tourné vers l’Occident, presque amoureux d’une civilisation dans laquelle il imaginait le renouveau de sa propre Perse triomphante, redoutée par Byzance et Rome.
Inspirez-vous de l’Europe
Dans le 19ème sièclee siècle, Nassereddine Shah ordonna la modernisation du pays, à savoir son occidentalisation. Il est convaincu, comme l’étaient la Chine, la Russie et l’Inde, que l’Europe, parce qu’elle domine, détient la recette de tous les triomphes, et qu’il suffirait de la lui voler. composition pour l’appliquer à la maison. Premier souverain perse à se rendre en Europe, il visite des usines et des laboratoires, assiste à des défilés militaires, et rapporte « des appareils photographiques (…) et des statues dans son palais du Golestan en vue de former une garde impériale (…) ».
Bref, la technologie, la guerre, ou les avatars rudimentaires et réducteurs des empires coloniaux de l’époque. Il entreprend des réformes économiques et politiques, croit à la compétence, à la rationalité, à l’ordre et au juste sens d’un mouvement mondial rythmé par les hymnes de l’Occident.
Mais si l’Europe et les États-Unis ont réalisé des performances extraordinaires, c’est aussi grâce à la liberté, condition des initiatives et de leur développement. La rationalisation de l’exercice de l’État, au moins, l’État de droit, au mieux, sont le logiciel par lequel le progrès est à la fois organisé et canalisé, dans la mesure du possible. « À la fin du XIXe sièclee siècle, les autocrates ou les militants orientaux qui prônent l’imitation de l’Occident sombrent peu à peu dans l’irréalité. (…) Ils acceptent de tout sacrifier à l’occidentalisation, sauf le despotisme. » Les guerres mondiales seront la modération tragique de l’arrogance occidentale, qui non seulement ne réussit pas à tout, mais se montre même capable du pire.
De son côté, l’Iran, désormais gouverné par la dynastie Pahlavi, sombre dans la répression policière. La Savak, la police du régime, organisée avec l’aide de l’allié américain, emprisonne, torture et exécute les ennemis, ou supposés ennemis, du régime. « Ce sont les abus, et non les vertus, de l’Occident qui sont au pouvoir. » En 1978, juste avant la chute du Shah, l’organisation comptait 10 000 agents, 15 000 fonctionnaires et 3 000 000 d’informateurs. Pour 35 000 000 d’âmes. L’ayatollah Khomeini n’aura qu’à faire une chose pour susciter le désir de vengeance au sein d’une population asservie par la monarchie. Les visages changent, pas les méthodes, puisqu’une nouvelle force de répression, tout aussi sanguinaire, est fondée par la dictature islamiste, qui remplira les prisons aussi vite qu’elle les a vidées.
Le régime n’aura qu’à exploiter le souvenir de la tyrannie laïque et moderniste pour concentrer son feu sur un Occident porteur de toute décadence. L’Islam sera le prétexte et l’idiot utile pour se venger. Et il suffira d’essentialiser l’Europe et les Etats-Unis pour les rendre responsables des échecs continus de la Révolution.
Outre l’antisémitisme du monde arabe et une politique discutable à l’égard de la Palestine, Israël paie son appartenance à un camp occidental devenu l’ennemi numéro un d’un « grand sud », aux contours et à la définition fluctuante, uni par un mauvais désir : le crépuscule de son ancienne idole.
*Référence du livre : Jean-François Colosimo, Ouest, ennemi global numéro 1, Paris, Albin Michel, 2024.