« Quand j’ai quitté l’Iran, je savais que je ne pourrais plus y retourner »

Chaque jour, une personnalité s’invite dans l’univers d’Élodie Suigo. Mercredi 15 mai 2024 : l’actrice et chanteuse franco-iranienne, Golshifteh Farahani. Elle joue dans le film « Roqya » de Saïd Belktibia.

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L'actrice et chanteuse franco-iranienne, Golshifteh Farahani, le 26 février 2024. (DELPHINE GOLDSZTEJN/MAXPPP)

Golshifteh Farahani est une actrice et chanteuse franco-iranienne qui a traversé les frontières au point de nous les faire oublier. C’est cette actrice qui incarne et symbolise l’espoir, le courage, l’artiste trilingue qui inspire, avec pas moins de 17 millions d’abonnés sur Instagram. Elle est née en 1983 à Téhéran, sous le régime islamique, de parents qui n’étaient pas considérés comme des artistes et des acteurs. Mercredi 15 mai, elle est à l’affiche du film Roqya de Saïd Belktibia. Elle incarne Nour, une mère célibataire qui survit en faisant passer clandestinement des animaux exotiques pour les guérisseurs jusqu’au jour où une consultation tourne mal. Elle se retrouve accusée de sorcellerie et traquée.

franceinfo : Roqya est un film époustouflant et surtout, au final, parle de liberté. C’est ça qui vous a convaincu ?

Golshifteh Farahani : Ce qui m’a le plus convaincu, c’est vraiment Saïd Belktibia, notre réalisateur. Je l’ai vu pour qu’il me donne le scénario, mais je ne l’ai même pas lu parce que je savais que je voulais travailler avec cet homme. Nour n’est pas une sorcière, c’est une femme d’affaires. Elle fait ses affaires. Elle s’en fiche, elle frise une zone assez grise. Elle n’est ni blanche ni noire, c’est une pirate. Bonne fille, je ne sais pas. Elle a un caractère un peu limité, pouvant même se tourner un peu vers le négatif, mais on l’aime.

« Mon personnage, Nour, vit dans une cité parisienne et c’est quelqu’un qui provoque beaucoup rien que par son existence, car elle a du succès. »

Golshifteh Farahani

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Vous avez vu vos parents se lancer dans l’art très jeune. Pour replacer les choses dans leur contexte, en Iran, ceux qui touchent à l’art ne sont pas nombreux, voire pas du tout. A quel moment ça change ?

J’ai réalisé mon premier film à l’âge de 14 ans. Ils sont passés par ma sœur car mes parents ne voulaient absolument pas que je devienne actrice. Et ça ne m’intéressait pas du tout. J’étais censé être pianiste et au moment où je devais aller au Conservatoire de Vienne, à l’âge de 17 ans, j’ai réalisé que j’écoutais de la musique très rock et métal. J’ai réussi à convaincre mon père en lui disant : « Papa, tu m’as toujours dit qu’il fallait travailler pour les masses, pour le peuple, pour la base de la société. Avec la musique classique, je ne peux pas toucher les bases de la société”. C’est comme ça que je l’ai convaincu que ce n’était pas ma voie.

À 16 ans, vous avez subi une attaque à l’acide. Vous décidez de ne pas abandonner. On se rase la tête pour se promener et on ressemble à un homme pour continuer à vivre. Comprenez-vous, à ce moment-là, qu’il sera très difficile de rester dans votre pays pour réaliser ce que vous voulez faire ou non ?

En fait, pas du tout. J’ai compris que cette attaque à l’acide était quelque chose d’assez important lorsque j’ai quitté l’Iran et je l’ai raconté à Nahal Tajadod, la femme de Jean-Claude Carrière, en écrivant un livre. Je lui ai raconté qu’un jour j’étais dans la rue et qu’un type m’a jeté de l’acide et ensuite je suis allé chez un ami. Je l’ai dit comme ça. Dit-elle : « Attendez, attendez, que s’est-il passé en Iran ?« Vraiment, pour moi, c’était un événement comme un autre, en fait. J’ai vécu beaucoup d’attaques de différentes formes depuis que je suis petite. Rien ne m’a arrêté. Je dois me protéger, je dois j’esquive. Et je vis . Donc cette histoire d’acide était complètement banale dans ma vie.

« Je sais que depuis ma naissance, je vais à contre-courant et je dois survivre parce que la loi ne me protège pas. La société ne me protège pas. »

Golshifteh Farahani

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Et pourtant, dix ans plus tard, en 2008, vous jouerez aux côtés de Leonardo DiCaprio dans le film américain Mensonges d’État par Ridley Scott. Ce film marque le début de votre exil car vous avez joué sans voile, ce qui vous a valu des mois d’interrogatoire à Téhéran. Comment peut-on vivre avec ça ?

Pendant sept mois d’interrogatoire, ils m’ont accusé de travailler avec la CIA pour détruire l’image de l’Iran et de l’Islam. Quand j’ai quitté l’Iran, je savais que je ne pouvais pas y retourner. Quand je ne portais pas mon voile sur le tapis rouge, j’ai vu à quel point j’étais massacrée. Je me suis dit : à chaque fois que je montre un bras ou un baiser au cinéma, ils vont me massacrer. Je préfère mettre ma tête sur la guillotine. Prends ma tête ! Comme ça, c’est fait.

« On s’est immolés pour se libérer parce que c’est la seule manière de dire : ‘Sortez, tuez-moi, je suis en feu. Vous n’aurez plus rien à brûler. Je me brûlerai comme si c’était fait !’ « 

Golshifteh Farahani

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Vous êtes cet espoir pour beaucoup de petites filles qui souhaitent elles aussi devenir Golshifteh Farahani. Est-ce que cela vous affecte ?

J’espère qu’ils deviendront eux-mêmes, mais meilleurs que moi. Je suis au premier rang et c’est nous qui prenons les flèches et les tirs. Je les prends pour que les générations à venir puissent mieux vivre, avancer vers la lumière. Et si je dois brûler, pourquoi pas. Si la lumière de ce feu éclaire la vie des filles derrière moi, pourquoi pas.