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quand la Chine réécrit l’Histoire

Une polémique remet en cause l’indépendance du musée du quai Branly et du musée Guimet, à Paris, accusés par des chercheurs de passivité face aux ingérences du régime de Pékin, déterminé à effacer les cultures des territoires récemment annexés.

Cette année, Paris et Pékin célèbrent 60 ans de relations diplomatiques. A cette occasion, les deux partenaires organisent de grandes expositions dans leurs musées nationaux respectifs. Le 6 mai, Emmanuel Macron a reçu son homologue Xi Jinping à l’Elysée et se réjouit : “Nous aurons la chance d’accueillir des collections inestimables en France, et notamment au musée Guimet, et dans la plupart de nos institutions culturelles.” Mais derrière cet accord se cache un bras de fer : la Chine tente d’imposer sa vision du monde dans ces expositions.

Si les musées français ont longtemps porté la voix des minorités réprimées par le régime chinois, ils semblent aujourd’hui nettement plus timides. Pression diplomatique ou autocensure, comment la Chine étend-elle son influence dans nos musées ?

Le musée Guimet à Paris est spécialisé dans les arts asiatiques. Ces derniers mois, les visiteurs les plus avertis ont remarqué de subtils changements. La galerie dédiée aux œuvres tibétaines, désormais baptisée « Monde himalayen », avait changé de nom il y a tout juste un an. L’année dernière encore, il s’intitulait « Tibet, Népal ».

Même constat sur les descriptions : il y a quelques mois une « tête de bodhisattva » présentée au musée, venait du « Tibet ». Un nom aujourd’hui remplacé par ce même monde himalayen.

Le changement peut paraître anecdotique mais pour Katia Buffetrille, anthropologue et tibétologue, c’est une façon pour le musée de se débarrasser d’une question sensible : celle d’un territoire contesté, annexé par la Chine. « Vous voyez le monde himalayen, tête de bodhisattva, art tibétain, XIIIe siècle. « L’art tibétain, décrit-elle. C’est un adjectif, tu supprimes le pays. Le Tibet s’étend bien au-delà du monde himalayen et c’est donc un nom d’une imprécision assez remarquable. Avec le risque, à terme selon elle, de voir le Tibet effacé de l’Histoire.

Le musée Guimet n’est pas la seule institution concernée. Plus bas, sur les bords de Seine, le musée du quai Branly Jacques-Chirac conserve même l’appellation de « région autonome de Xizang », imposée par le gouvernement chinois depuis 2023, pour parler du Tibet.

La terminologie utilisée dans ces deux musées nationaux pose question, car elle correspond au vocabulaire adopté par Pékin, et à la vision défendue par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2013 : une Chine incontestablement puissante sur la scène internationale tout au long de son histoire, au culture unique, quitte à gommer celles des minorités tibétaines, mongoles ou ouïghoures.

Les méthodes pour y parvenir sont radicales : dans la presse locale et sur les réseaux sociaux chinois, les mots « Tibet » et « Mongolie » sont par exemple censurés. Le China Digital Times, un site indépendant, maintient une liste de tous les termes bloqués sur Weibol’équivalent du réseau social X. Les musées français se conforment-ils à cette politique ?

Une trentaine de chercheurs accusent ces musées parisiens de se plier à cette politique, en une tribune publiée dans Le Monde : “La terminologie utilisée dans ces institutions reflète les volontés de Pékin en termes de réécriture de l’histoire et d’effacement programmé des peuples non-Han intégrés ou annexés par la République populaire de Chine.»

Le musée du quai Branly avoue quelques maladresses dans la rédaction des descriptions : «Le nom Xizang (…) n’a jamais été placé seul, la mention du Tibet a toujours été présente. Nous envisageons néanmoins de les modifier : le Tibet ne sera plus entre parenthèses, pour lever toute ambiguïté.« L’institution assure également »exerce ses missions en toute indépendance et en totale liberté scientifique».

“Nos institutions veulent préserver à tout prix leur accès aux domaines de recherche, aux sources et aux archives chinoises, et bénéficier de largesses financières et de prêts d’objets muséographiques dépendant du bon vouloir du régime chinois.”

Auteurs de la chronique

à nos collègues du monde entier

Les changements de propos au musée Guimet, quant à eux, seraient dus à un réaménagement global des salles du musée, afin que les descriptions des objets soient plus précises. Une réorganisation qui coïncide avec le lancement du soixantième anniversaire des relations franco-chinoises, depuis la reconnaissance de la République populaire de Chine par le général de Gaulle en 1964, ainsi que la visite à Paris du président chinois Xi Jinping en mai dernier. De quoi alimenter les soupçons des chercheurs, de collusion entre la direction du musée et le régime de Pékin. “Nos institutions veulent préserver à tout prix leur accès aux domaines de recherche, aux sources et aux archives chinoises, et bénéficier de largesses financières et de prêts d’objets muséographiques dépendant du bon vouloir du régime chinois. Ainsi, nous cajolons la puissance menaçante qu’est devenue la Chine de Xi Jinping et nous inclinons la tête devant ses exigences de réécriture de l’histoire et d’effacement des peuples.» expliquent les chercheurs dans leur article.

Lors de notre entretien, la Présidente admet enfin que certains sujets restent délicats et difficiles à aborder avec ses interlocuteurs chinois. « J’ai vécu cela avec le Maroc et avec l’Iran, elle raconte. Ce n’est jamais facile, mais c’est passionnant, car il faut entrer dans une histoire, où l’on respecte tout le monde, et où l’on est dans la vérité historique. La réponse est très diplomatique, mais un de ses collègues nantais s’exprime beaucoup plus librement sur les pressions qu’il a subies.

En 2020 Bertrand Guillet, directeur du musée d’histoire de Nantes, a imaginé une exposition sur Gengis Khan, conquérant mongol, et fondateur d’un empire rival de la Chine. Pour meubler ses chambres, il obtient le prêt de deux cent vingt-cinq pièces, dont des sceaux impériaux et des objets en or des XIIIe et XIVe siècles, du Musée de Mongolie intérieure à Hohhot, en Chine. Mais lorsqu’il s’agissait de sortir les œuvres du territoire, Pékin a pris connaissance du projet et a envoyé des instructions à Bertrand Guillet : « Il faut changer le nom de l’exposition car le mot Gengis Khan n’est pas autorisé à être mentionné. Le bureau nous a donné quatre jours pour examiner tous les documents.

“Dans le nouveau synopsis, la culture et l’histoire mongoles n’existaient plus.”

Bertrand Guillet, directeur du Musée d’Histoire de Nantes

à l’Œil du 20h

Le réalisateur explique : « L’injonction que nous avons reçue était de ne pas mentionner « Gengis Khan », de ne pas mentionner le mot « empire » et le mot « Mongol ». C’est complètement problématique parce que c’est comme si je faisais une exposition sur Napoléon et l’Empire français et qu’on me disait « Non, mais tu ne nommes pas Napoléon, et tu ne dis pas Empire français ». L’ingérence est donc lourde, car derrière l’interdiction, ils veulent que nous disions autre chose.» Les autorités chinoises ne s’arrêtent pas là : elles demandent à redessiner les cartes, et à réécrire le scénario de l’exposition. “Dans le nouveau synopsis, la culture et l’histoire mongoles n’existaient plus. Ils avaient été écrasés précisément par un nouveau récit, par une nouvelle histoire. »dit Bertrand Guillet. L’exposition verra enfin le jour en octobre 2023 sous une autre forme, sans la Chine, grâce à d’autres partenaires, dont des collectionneurs privés.

A Nantes, c’est Pékin qui a exercé des pressions directes, mais parfois ce sont les autorités françaises qui semblent jouer à l’autocensure. Collectionneur, François Panier est persuadé d’en avoir payé le prix. Ce spécialiste des arts mongols et tibétains propose régulièrement des projets aux musées parisiens. En 2020, son film consacré au Dalaï Lama séduit le musée du quai Branly. Il ne manque plus qu’une date de diffusion à fixer, mais au dernier moment, un responsable du musée lui envoie cette lettre : « Nos autorités ont émis un avis négatif sur ce dépistage et j’en suis vraiment désolé. Merci de ne pas m’en vouloir, tu sais que je n’ai rien à voir là-dedans”. Le galeriste analyse ce refus : “Une décision de tutelle reste quelque chose qui vient d’en haut et qui perturbe le projet ou qui l’annule complètement.” L’autorité, c’est-à-dire le ministère de la Culture, avait-elle peur d’offenser la Chine ? Il n’a pas souhaité nous répondre.

Mais à l’Institut du monde arabe, un commissaire d’exposition chevronné a accepté de témoigner. Conseiller spécial du président de l’IMA Jack Lang, Claude Mollard se montre ambitieux depuis 2017 pour raconter l’histoire des Routes de la Soie, à partir d’objets prêtés par Pékin. La Chine propose de financer l’intégralité du projet, mais demande également d’en revoir la chronologie. “C’est vrai qu’ils ont parfois tendance à commencer le monde avec la Chine, sourit Claude Mollard. Il faut donc savoir résister. A défaut de s’entendre sur le scénario, il tente un plan B, qu’il sait diplomatiquement risqué. « Puisque nous n’avons pas pu parvenir à un accord avec la Chine continentale, pourrions-nous parvenir à un accord avec Taiwan ? Mais là, eh bien, le Quai d’Orsay, ou d’autres nous ont tout de suite dit : Attention : c’est déterrer la hache de guerre ! rapporte le commissaire de l’exposition. Nous sommes indépendants, nous sommes libres, mais nous sommes obligés de tenir compte des relations diplomatiques qui existent.»

Contacté, le ministère des Affaires étrangères dément toute intervention dans la programmation des musées. L’ambassade de Chine en France écrit de son côté que « les musées français concernés n’ont adopté que de bons gestes » en matière de réécriture des descriptions. Elle ajoute qu’elle s’oppose «à toute spéculation libre» sur son interventionnisme dans les musées français.

Parmi nos sources :

Tribune des chercheurs du monde entier

Juliette

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