Quand la littérature rassemble les âmes

CComment le fils aurait-il pu imaginer ce père, devenu presque un étranger, penché sur un manuscrit qu’il avait abandonné dans cette « ferme trapue plantée à flanc de colline à la limite des Landes et des Pyrénées » qu’il est venu se vider aujourd’hui, puisque le père est mort sur le coup dans un accident de la route, à l’âge de 70 ans ? Tout le roman d’Yves Harté, écrit dans une qualité de langue qui s’inscrit sobrement dans la lignée des grands prosateurs de notre temps – Michon, Bergounioux – ou de la prosatrice – Marie-Hélène Lafon –, est construit sur cet étonnement doux, mesuré, calme, mais où bat sans cesse le pouls des émotions profondes.

Journaliste (comme Harté, qui reçut le prix Albert-Londres en 1990 et, en tant qu’écrivain, celui de l’Académie française en 2023), le narrateur avait autrefois écrit des nouvelles traitant de la solitude à partir d’une série de reportages sur « des vies de malheur » :ses rencontres avec un alcoolique, qui a disparu puis est revenu au café, où “un soir il le ramena sec et prodigue”, avec un estropié fier, avec une institutrice à la double vie… Autant de trajectoires rivées à la solitude illuminant une France rurale, invisible, et résonnant d’autant plus aujourd’hui.

Un père très aimé

Le narrateur relit ses textes avec une humanité et une dignité bouleversantes, d’autant plus pour le lecteur, qui suit le regard de son père, Henri, fixé sur ce recueil recomposé et même annoté par lui, qui aimait tant lire. (…) Lire la suite