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quand les remarques incessantes des entraîneurs créent des troubles alimentaires chez les sportifs

Si le poids est un facteur important dans la performance sportive, certains entraîneurs n’hésitent pas à humilier leurs athlètes à ce sujet, au point de leur causer de graves problèmes dans leur quotidien.

Sarah Fofana-Koutouan, aujourd’hui âgée de 26 ans, “j’ai fini par être dégoûté de cet environnement”. Le milieu? Celui du sport de haut niveau. À 17 ans, la coureuse de haies, actuellement en lice pour se qualifier pour les JO de Paris, a développé un trouble du comportement alimentaire (TDE) suite aux remarques incessantes et humiliantes de son entraîneur sur son poids. Elle n’est pas la seule : deux autres sportifs ont accepté de témoigner de ce système qui autorise les entraîneurs à juger le corps des sportifs qu’ils entraînent, sous prétexte de performance.

S’il y a bien un sujet sensible pour ces sportifs, qui performent parfois à haut niveau, c’est bien celui de leur poids. Des dizaines de sportifs contactés, tous ont confirmé l’importance d’aborder cette thématique.omniprésent dans le monde du sport.. Certains craignent aussi des représailles : «C’est très compliqué pour les sportifs d’en parler, on risque beaucoup”l’un d’eux s’est inquiété.

Mon premier entraîneur de haut niveau s’amusait à m’humilier sur mon poids devant d’autres sportifs, à me faire des propos qu’il trouvait drôles, mais moi pas du tout. Il m’a traité de cochon devant tout le monde.”confie Sarah Fofana-Koutouan.

“Pendant les vacances d’été, je regardais les calories sur la boîte de ce que je mangeais. J’allais courir et je ne revenais qu’après avoir brûlé le nombre exact de calories.”

Sarah Fofana-Koutouan, spécialiste du 100 m haies

sur franceinfo : le sport

Elle était en pleine adolescence, à un âge charnière où les femmes s’épanouissent, où le rapport à leur corps devient parfois délicat. C’est lors d’un stage que l’athlète a commencé à développer le TCA : “J’étais tellement nerveuse de manger devant lui que je me suis arrêté. (…) J’ai recommencé, sinon il refusait de m’entraîner, mais j’ai commencé à me faire vomir. Au début je me suis dit : “Je contrôle le temps du stage pour qu’il arrête de me faire des remarques.” Et ça s’est installé, je n’avais plus le contrôle. Cela a commencé à être une, deux, trois fois par jour…”

Des propos sur le ton de la plaisanterie, c’est aussi comme ça que ça a commencé pour Auriane, 24 ans, vice-championne de France juniors du 100 m en 2016 : “Un jour, je m’échauffais en dehors du groupe. Le coach a une petite réunion et dit : ‘On va faire cette séance et ensuite on va courir le mammouth’, en parlant de moi.”

Auriane, qui venait de sortir du lycée, en ressort traumatisée : “A partir de ce moment-là, je n’ai plus envie de venir à l’entraînement. J’ai commencé à me sentir mal même en me regardant dans le miroir. J’avais toujours peur du regard des autres, de la sensation d’être énorme tout le temps, de ne pas pouvoir courir.« Un autre jour, la jeune femme arrive à l’entraînement. Son entraîneur lui dit : »Ah, tu es revenu à forme humaine aujourd’hui.

Chantage au poids

Commence alors les rouages ​​du TCA : “Au début, je me pesais tous les soirs, et je mangeais à condition de ne pas peser plus que la veille. Puis j’ai commencé l’hyperphagie (consommation excessive et incontrôlable de nourriture), boulimie. Et j’ai commencé à ne plus me voir physiquement du tout. J’avais tellement honte. Auriane insiste sur les conséquences psychologiques de ses troubles : “Je me suis renfermé sur moi-même. Toute ma vie personnelle a été impactée.

“On n’en parle pas, on a honte. Mon poids était devenu une obsession. J’étais dégoûté par la personne que j’étais devenue.”

Auriane, athlète spécialiste du 100 m

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Pour Clara Valinducq, 23 ans, rameuse, ancienne championne d’Europe de deux de couple et plusieurs fois championne de France, il n’y a jamais eu le ton de la plaisanterie. Plutôt des menaces : “Imaginez que vous ayez tout sacrifié, mis tout en place pour ce projet, et qu’on vous dise : “Tu n’y arriveras pas, nous ne t’accepterons pas parce que tu es en surpoids”“. Et ce, même si elle n’avait pas à rougir de ses résultats sportifs. D’autant que Clara ne rame pas dans une catégorie qui impose un poids minimum.

La jeune femme souffrait de phases d’anorexie, d’hyperphagie, de boulimie mais aussi de dysmorphophobie (obsession d’un défaut imaginaire ou d’un petit défaut physique) au point d’avoir des pensées suicidaires : “Il y a eu une période de ma vie, j’allais m’entraîner et une voix n’arrêtait pas de me dire : “Tu es une merde, meurs.” A chaque entraînement, il y avait ce côté-là : “Je suis une baleine, je suis une merde”. je voulais partir“.

Clara raconte également des propos tout aussi humiliants de la part de la direction technique de la Fédération française d’aviron (FFA) : «Un jour, ils ont pris une collation au pôle France. Je n’avais pas mangé la veille ni le matin. Je savais que c’était mon écart de la semaine. Je récupère une pâtisserie, et le responsable du centre demande à me parler. Elle me dit : « Clara, tu es complètement malade, tu as besoin de te faire soigner, as-tu vu les filles devenir davantage ? Il n’y a que toi.’ J’avais 19 ou 20 ans.

Interrogée sur ces propos, la FFA n’a pas souhaité répondre précisément à nos questions et certifie que le cas de Clara “est actuellement à l’étude au sein de la fédération dans le cadre de notre stratégie nationale de protection de l’intégrité morale des personnes“. La rameuse nous a indiqué qu’elle avait fait un signalement au ministère des Sports via la plateforme “Signal-Sports”.

Les trois athlètes décrivent le même schéma : tomber dans le TCA est rapide, sournois et insidieux. A l’inverse, voir le bout du tunnel est un cauchemar. Tous les trois confirment que ce traumatisme n’est pas derrière elle : “Il m’a fallu trois ans pour m’accepter à nouveau. Ce n’est pas complètement fini, j’y pense encore quand je mange. Mon poids m’intéresse tout le temps. Si je sais que je ne pèse pas très lourd, je pense que je suis horrible, trop gros”témoigne Auriane, désormais loin de l’athlétisme.

« Parfois, lorsque j’étais blessé ou que je souffrais, on me disait que c’était parce que je n’avais pas perdu de poids. »

Auriane

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Clara soigne une vilaine blessure mais prend toujours des antidépresseurs : “Je me bats contre ma tête. Je ne rame plus à cause de mon épaule, mais aussi parce que je me trouve encore trop gros pour être sur mon bateau.”

Ce n’est pas un mot qui va déclencher une pathologie, c’est une rencontre entre un contexte, un sport et une personne.”analyse Meriem Salmi, psychologue spécialisée dans le sport de haut niveau qui se souvient : «C’est incroyablement violent, j’ai entendu des choses horribles. Et le pire, c’est que les gens ne s’en rendent pas compte. J’ai beaucoup travaillé pour informer et sensibiliser sur ces questions.”

Et avec les TCA, le cercle vicieux des résultats s’installe. Certains entraîneurs poussent leurs athlètes à perdre du poids pour être performants. Ils développent alors ces troubles, et tout s’effondre : le physique, puisqu’ils ne mangent plus ou de manière irrégulière, le mental, et leurs résultats sportifs. “Chaque fois que je manquais un exercice d’entraînement, c’était mon poids, Sarah continue. Chaque fois que je manquais une compétition, c’était mon poids. Chaque fois que je me blessais, c’était mon poids. Cette spirale psychologique – couplée à d’autres facteurs – faisait que je me blessais tout le temps.

Un manque de soutien

Le poids est un facteur important de performance, les trois athlètes interrogés en sont pleinement conscients et ne remettent pas en cause ce postulat, ni le fait qu’ils aient parfois dû perdre du poids. Mais outre la manière humiliante dont le sujet a été abordé avec leurs coachs respectifs, ils décrivent un manque d’éducation et d’accompagnement dans leur obligation de perdre du poids.

Nous m’avons dit ‘Tu perds du poids sinon tu es viré’, sans m’accompagner ni me proposer un nutritionnisteargumente Clara Valinducq. J’ai perdu 10 kilos en deux mois et personne ne s’est jamais inquiété. De son côté, la FFA affirme que le «les sportifs sont accompagnés, tout au long de l’année, par des médecins et des diététiciens” mais aussi ça “l’encadrement technique s’appuie fortement sur l’expertise de psychologues et de préparateurs mentaux”.

Pour Auriane, son coach vient de lui conseiller de consulter un nutritionniste. Sarah détaille : «A l’Insep, nous avons une visite annuelle chez le psychologue. Il n’y a qu’une seule question sur le poids et notre alimentation. Pour moi, c’était un processus personnel de voir la diététiste. Mon coach me parlait de créer un déficit calorique et c’est tout.

Un système à repenser dans sa globalité

Ce manque de suivi, mais aussi parfois de connaissances médicales de la part des entraîneurs, entraîne des exigences irréalisables, voire dangereuses pour la santé des sportifs : “C’est le même discours pour tout le monde. Nous n’avons pas tous la même morphologie. Par exemple, j’ai 59 kilos de muscles et de squelette. Et on m’a demandé de peser 62 ou 63 kilos, c’est impossible !se lamente Sarah.

« La notion de poids est totalement obsolète, c’est quelque chose de très subjectif. Cela ne nous dit rien sur la composition corporelle, confirme Mathieu Jouys, diététicien-nutritionniste de la cellule d’optimisation des performances de la Fédération française d’athlétisme. A aucun moment nous ne demanderons au coach de s’occuper de l’aspect psychologique ou nutritionnel. Tous nos cadres techniques disposent de divers professionnels compétents. L’idée est de dire : voilà, vous n’êtes plus isolés sur des sujets qui ne concernent pas vos compétences, et ils s’en réjouissent.

“Mon entraîneur m’a dit que pour performer à un haut niveau, il fallait avoir environ 5 ou 6 % de graisse corporelle. Et je me souviens lui avoir dit : ‘Mais à 5 ou 6 % on n’a plus nos règles.’ a répondu : ‘Mais tous ceux qui vont en finale olympique n’ont plus leurs règles.'”

Sarah Fofana-Koutouan

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Arrivé en septembre 2023 à la Fédération française d’athlétisme, Mathieu Jouys a lancé, avec Emilie Chamagne, psychologue de la performance, une série de webinaires pour sensibiliser les entraîneurs à ces problématiques : “Aborder la perte de poids avec des mots parfois très inappropriés, sans communiquer au sportif une source d’aide, est bien plus néfaste qu’autre chose. Nous avons commencé la formation des entraîneurs. Ils sont très exigeants car impuissants sur ce sujet. Nous leur ferons prendre conscience de la nécessité d’avoir le bon langage mais surtout, en amont, la bonne attitude. Nous en avons fait quatre et nous avons eu un grand succès avec 80 personnes par webinaire. »

Plus que des actes isolés, c’est le système que dénoncent ces sportifs. Cela provoque indirectement un manque de solidarité : “Ce qui m’a frappé, c’est la réaction des autres athlètes. C’était : ‘On sait que ce n’est pas normal, mais on rigole, c’est la façon dont les athlètes sont traités par leurs entraîneurs'”confie Sarah.

« Nous savons qu’il existe une prévalence de troubles de l’alimentation pouvant atteindre 25 % chez les athlètes féminines. Cela concerne également les sportifs masculins, avec une prévalence de 8 %.

Mathieu Jouys, diététicien-nutritionniste à la Fédération française d’athlétisme

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« Les athlètes reproduisent entre eux le système, souligne la psychologue Meriem Salmi. C’est normal. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en parlent pas entre eux, mais cela fait partie des codes, de la tradition, de la culture, et tout le monde se sent coupable. Et ça leur fait peur parce qu’ils se disent : ‘J’espère que cela ne m’arrivera pas’.

En plus de sensibiliser et d’éduquer les coachs sur cette problématique, la psychologue plaide pour «travail en profondeur sur le système” : “Les entraîneurs pleuraient devant moi, se culpabilisant lorsqu’ils réalisaient que c’était ce qu’ils avaient dit qui avait déclenché tout ça. Vous n’êtes pas obligé de faire un seul travail avec eux. Nous devons sensibiliser l’ensemble du monde sportif. Nous avons besoin d’une volonté politique sportive au niveau international.”

Fleur

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