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Que se cache-t-il derrière l’imbroglio autour du taux de participation ?


PA travers les interstices entre les immeubles délabrés, à travers les banderoles rouges et vertes du Mouloudia Club d’Alger, on aperçoit ici et là la mer. Dans le mythique quartier d’Alger, Bab El Oued, le bleu de la baie est doublé par celui des uniformes de la police, très présents dans toute la capitale en ce jour d’élection présidentielle, samedi 7 septembre. Après la canicule de la journée, les rues sinueuses descendant vers la mer s’animent. Au lycée Émir-Abdelkader – ex-Bugeaud, le plus ancien d’Alger (datant de 1868), ancienne caserne des janissaires de la Régence –, que fréquenta un certain Albert Camus, un père et sa fille, lui sexagénaire et elle trentenaire, montent le grand escalier gardé par deux policiers armés de leurs détecteurs de métaux.

“Je vote à toutes les élections. Si on ne dit pas où on veut aller, où ira-t-on ? Ma fille et moi ne sommes pas d’accord sur le choix du candidat, je choisis la stabilité avec tout ce qui se passe aux frontières. Mais elle veut du changement, c’est normal, elle est jeune”, explique Zoubir, un sourire rehaussé par une élégante moustache, une chemise repassée et un pantalon en lin, un œil malicieux.

La fille de ce postier retraité travaille dans un laboratoire médical. « Tout est en ruine, la médecine, l’université, l’école… la gestion bureaucratique des importations ne nous permet pas de faire tourner le labo normalement. Il faut libérer les initiatives », explique Asma. Le changement ? « Je vote pour ce jeune du FFS (Youcef Aouchiche, 41 ans), il n’a aucune chance mais il faut avancer, garder l’espoir du changement », poursuit-elle. Question indiscrète : « Et la mère ? » Elle est également retraitée, mais issue de l’enseignement. « Elle ne vote jamais », s’étonne Zoubir. « Elle pense que les élections sont truquées de toute façon ! Mais je ne suis pas d’accord, on vit ici, on a une voix et on doit la faire valoir », répond Zoubir.

« Pourquoi devrais-je voter ? »

« Regardez autour de vous », dit-il d’un large geste des bras, en embrassant l’ancienne rue de la Marne qui ouvre le quartier, entre la préfecture de police nationale, la mer, la rue qui monte à Rampe-Vallée. « La mairie ne fait rien pour le délabrement de Bab El Oued parce que les habitants ont démissionné. Ils ne savent pas qu’ils peuvent peser sur la décision. Ils peuvent assister aux réunions des élus, voter et surveiller, mais ils ne le font pas. Il faut que cela change. Nous ne sommes plus des autochtones, mon fils. »

Asma lève les yeux au ciel, et finit par prendre la main de son père pour monter le grand escalier. En contrebas, vers le marché Nelson, Jo (de son vrai nom Youcef) sirote son café sous les arcades au pied d’un immeuble. « Pourquoi j’irais voter ? Qu’est-ce que je gagne ? Ils (les autorités) s’en sortent bien, ils ont l’argent, les voitures avec gyrophares, les voyages… Qu’est-ce qu’on a ? », s’interroge ce jeune homme, bob vissé sur la tête, qui gagne sa vie en vendant des accessoires de téléphone.

À LIRE AUSSI Algérie : le deuxième quinquennat de « Tonton Tebboune » Il montre sur son téléphone les slogans criés par les jeunes supporters lors d’un récent match de l’équipe algérienne, à Oran : « Ana wallah ma n’votti, harraga f’el botti ” (Je jure que je ne voterai pas, je partirai de harraga sur un bateau). “De toute façon, on connaît le vainqueur, et c’est bien pour le pays, pour moi c’est une autre affaire, un jour je partirai.”

Plus loin, dans le même quartier, près de l’hôpital Maillot, des policiers sont également postés à l’entrée d’une école primaire abritant un centre de vote. Deux dames d’une cinquantaine d’années, bien habillées, sortent, montrant fièrement leurs index maculés d’encre bleue prouvant leur vote. Les deux ménagères insistent pour dire : « Nous avons voté pour Tebbounecelui qui protège le pays contre nos ennemis.

Connaissent-ils les deux autres candidats ? « Non, et ce n’est pas important. » La fin de journée plane sur Bab El Oued. Les bureaux de vote resteront finalement ouverts jusqu’à 21 heures, comme décidé en fin de journée par l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE). Un classique, afin de maximiser la participation.

Résultats incomplets

Dans la soirée, le taux de participation, véritable enjeu du scrutin, tardait à être annoncé. Ce n’est que tard dans la nuit, avec trois heures de retard, que Mohamed Chorfi, président de l’Anie, est apparu à la télévision pour annoncer un taux de participation « moyen » sur l’ensemble du pays de 48,03 % (chiffre fixé à 20 heures) mais sans préciser le nombre de votants par rapport aux plus de 24 millions d’inscrits. Le responsable a en revanche donné le taux (et non la « moyenne ») du vote à l’étranger fixé à 19,57 % à 20 heures (8,69 % en 2019). Et il s’est excusé de son retard dû, selon lui, aux inondations au Sahara, notamment à Béchar et Tamanrasset, qui ont retardé la communication des résultats.

“L’Anie refuse de donner le taux de participation réel. Les informations concernant le corps électoral et le nombre de votants, base de calcul du taux de participation, ont été supprimées de l’infographie présentée par Chorfi de manière volontaire et intentionnelle”, pointe un journaliste sur les réseaux sociaux.

À LIRE AUSSI Election présidentielle en Algérie : le défi de la participation électoraleDurant la matinée, les médias ont créé la confusion en parlant de « taux de participation » au lieu de « taux de participation moyen ». La différence ? La « moyenne » consiste à diviser les chiffres du taux de participation par wilaya par le nombre de wilayas (départements administratifs). Ce qui ne donne pas une vision réelle de la participation.

Durant toute la matinée et l’après-midi de ce dimanche 8 septembre, l’opinion publique a attendu l’annonce des résultats. En vain. Se contentant des chiffres incomplets donnés durant la nuit. Ce taux de participation « moyen », jugé faible par une partie de l’opposition, a fait réagir. Le président du RCD (parti qui a boycotté le scrutin), Atmane Mazouz, estime que « la désertion des urnes est telle que les centres urbains ont donné l’impression de villes mortes et les informations relevées et rapportées par les militants et de nombreux citoyens à travers le pays donneraient probablement un taux réel qui ne pourrait pas dépasser 18 % ». Ce désaveu est historique car il concerne toutes les régions du pays et, contrairement à 2019, le régime a eu tout le temps et la latitude pour le préparer comme il l’entendait.

Critiques du candidat islamiste

« L’incapacité à lire les messages répétés envoyés par la majorité à chaque élection suggère qu’il n’existe aucun parti capable de recevoir ces messages, de les analyser et d’interagir sérieusement avec ces signaux », commente le journaliste politique Nadjib Belhimer. « C’est un indicateur effrayant de l’état d’effondrement dans lequel se trouve le pouvoir, avec toutes les conséquences négatives que cela implique pour la continuité de l’Etat. »

L’ancien président du MSP (tendance des Frères musulmans), Abderrezak Makri, est plus direct : « Le gonflement du taux de participation n’a jamais atteint ce niveau dans toute l’histoire des élections en Algérie : de 26 % à 48 % en trois heures ! Comme si, d’un coup, des millions d’Algériens s’étaient mobilisés. Personne n’a vu ces foules. Le président n’avait pas besoin de falsifier ce taux puisqu’il a gagné. Cette falsification du taux de participation annule complètement la crédibilité de l’élection. » La direction de campagne du candidat Abdelaali Hassani Cherif, président du MSP, a dénoncé, dimanche en fin de matinée, les « retards » dans l’annonce des taux de participation et l’utilisation d’un « terme étrange, le taux de participation moyen, sans publication du nombre de votants ». Le MSP pointe aussi du doigt « les pressions exercées sur les superviseurs des bureaux de vote pour gonfler les résultats, le refus de communiquer les procès-verbaux de dépouillement aux représentants des candidats et le regroupement des votes par procuration ».

De son côté, le quotidien gouvernemental, El Moudjahidtitre : « La manifestation citoyenne », et martèle que « malgré la canicule et les vacances, les Algériens se sont rendus aux urnes ».


Anna

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