Quelle est la présomption de légitime défense des forces de l’ordre, souhaitée par Bruno Retailleau ?

L’idée est l’un des nombreux serpents de mer des programmes d’extrême droite. Elle a émergé en 1977, lorsque Roger Marchaudon, brigadier, a été condamné pour avoir tiré six balles dans le dos d’un homme, après une tentative de braquage.

L’association “Légitime Défense” s’est alors créée et réclamait que la réponse policière ne soit plus forcément proportionnelle. “Légitime Défense” a notamment participé à l’organisation d’une manifestation à l’initiative d’un syndicat de police d’extrême droite dont faisait partie Jean-Marie Le Pen, rappelle France Info.

La proposition a ensuite été reprise par le FN puis le RN et est présente dans leurs programmes présidentiels depuis 2007 sans interruption, mais aussi soutenue par Alliance, syndicat de police classé très à droite, et plus récemment Éric Zemmour.

Le sujet revient fréquemment au premier plan de l’actualité à la suite de divers incidents impliquant les forces de l’ordre, notamment lors d’utilisation d’armes à feu, qui font parfois l’objet de propositions de loi proposées par des députés d’extrême droite. En mai 2019, c’est le sénateur RN Stéphane Ravier qui a déposé au Sénat une proposition de loi sur le sujet, imitée en novembre 2022 par le groupe RN à l’Assemblée, qui a été rejetée en commission.

Aujourd’hui, en cas de poursuites, le policier mis en cause est placé en garde à vue, et il lui appartient, comme à tout citoyen, de prouver que les critères de légitime défense étaient réunis et que l’usage de la force qu’il a fait était proportionné. Il n’existe pas de régime particulier pour les agents des forces de l’ordre en matière de légitime défense.

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Ce que souhaite Bruno Retailleau, comme Marine Le Pen avant lui ou le syndicat Alliance, c’est que le policier qui fait usage de la force soit automatiquement considéré comme ayant agi en état de légitime défense, évitant ainsi la garde à vue, et qu’il appartienne au parquet de prouver qu’il n’y a pas eu de légitime défense ou que la force employée était disproportionnée. Ce renversement de la charge de la preuve suscite une large désapprobation chez plusieurs experts, sociologues, magistrats et avocats.

“C’est extrêmement dangereux. Les policiers seront davantage incités à utiliser leurs armes en raison d’une forme de sentiment d’impunité”, prévient Christian Mouhanna, sociologue, chercheur au CNRS et au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), où il étudie les organisations policières, la justice pénale et le milieu carcéral, dans L’Opinion.

“Si cette proposition était adoptée, il faudrait d’abord que les tribunaux considèrent que l’usage de la force par la police est proportionné, légitime, et intervient dans un délai immédiat. Or, les policiers n’ont aucune difficulté à apporter des preuves, quand ils interviennent ils sont toujours plusieurs, les échanges radio sont enregistrés, ce sont eux qui rédigent les procès-verbaux et ils ont facilement accès aux enregistrements de vidéosurveillance”, expliquait en 2022 à Libération Nils Monsarrat, secrétaire national du syndicat des magistrats.

Avocat spécialisé dans la défense des forces de l’ordre, Laurent-Franck Liénard y voit un projet « dangereux » pour les policiers, qui « n’ont pas besoin qu’on leur remonte le moral en leur disant qu’ils peuvent tirer sur les gens, ils se sentiraient libérés d’une certaine inhibition et auraient recours à davantage de force, mais derrière cela ils seraient poursuivis par des magistrats qui auront toujours une approche restrictive de l’usage du feu », a-t-il fait valoir, toujours auprès du quotidien Libération. Le syndicat SGP Police-FO n’y est pas non plus favorable.

Dans une tribune publiée dans Le Monde au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, Vanessa Codaccioni, professeure au département de science politique de l’université Paris-VIII et auteure de “La Légitime Défense. Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières”, énumère les conséquences d’une telle mesure, au cœur du projet du RN.

“Cette mesure compliquerait encore davantage le travail de la justice et serait défavorable aux victimes et à leurs familles”, a-t-il ajouté, ajoutant qu'”il est facile d’imaginer que les policiers se sentiraient plus justifiés à utiliser leurs armes, ou du moins se sentiraient plus facilement protégés. Les changements apportés à la législation sur la légitime défense, qui créent une confusion au sein des forces de police quant aux conditions d’utilisation des armes, pourraient également conduire à une augmentation des fusillades et des homicides commis par la police”.

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Un dernier argument illustré par la loi Cazeneuve de 2017 qui précise les conditions d’utilisation des armes à feu. L’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure prévoit qu’il est notamment possible d’ouvrir le feu lorsque le refus d’obtempérer menace physiquement les forces de l’ordre ou les passants dans sa fuite. Depuis cette loi, le nombre de coups de feu tirés lors de refus d’obtempérer est passé de 137 en 2016 à 202 en 2017, et cinq fois plus de personnes ont été tuées.

Anna

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