A l’origine un symbole religieux, repris pendant une centaine d’années par les partisans de l’idéologie suprémaciste. Après l’inquiétante manifestation d’ultra-droite ce samedi 11 mai à Paris, l’idée d’interdire la croix celtique a été évoquée par le député Socialiste du Calvados Arthur Delaporte, ce lundi sur BFM TV.
Organisé à l’appel du Comité du 9 Mai, groupe d’inspiration pétainiste, le défilé qui s’est déroulé dans les rues de la capitale a été interprété par de nombreux observateurs comme le révélateur d’une France de plus en plus décomplexée, n’hésitant pas à afficher ouvertement ses inspirations fascistes.
Ainsi, le fait que de nombreux participants à la manifestation aient arboré fièrement la croix celtique, une croix dans laquelle est dessiné un cercle, sur des drapeaux, des pancartes ou des vêtements, est loin d’être anodin. Alors, quel est ce symbole et que représente-t-il pour ceux qui l’affichent ?
Un symbole ancien, récupéré par le christianisme
Comme l’expliquait Erwan Chartier, docteur en études celtiques, en 2023 dans les colonnes de Ouest France, il s’agit d’une représentation très ancienne, qui fut ensuite « avalée » par le christianisme : « C’est un symbole qui apparaît dès le Néolithique (vers 10 000 avant JC, ndlr), donc qui n’est pas immédiatement associé au christianisme. Mais on le retrouve surtout en Irlande, au Moyen Âge, lors de la christianisation.
La composition même de l’emblème, une croix et un cercle superposés, semble elle aussi résulter d’un processus syncrétique. “Le cercle au milieu de la croix peut représenter soit l’Ostie chrétienne, soit des symboles plus païens, indique Erwan Chartier. Il s’agirait peut-être d’une association entre les deux religions : le christianisme, et le druidisme irlandais ancien. Dans la mythologie celtique, il y a toute une symbolique autour des cercles : cela peut expliquer pourquoi l’Église, au début, a voulu associer les deux symboles pour qu’ils parlent au peuple.”
Outil d’assimilation
Tout au long du Moyen Âge, la croix celtique fut donc principalement utilisée par le christianisme comme outil d’assimilation des populations de tradition celtique, en représentant très concrètement l’association de la croix chrétienne et de la roue solaire, l’un des symboles les plus importants et les plus répandus de la tradition celtique. mythologie.
Tombée peu à peu en désuétude, mais toujours très présente dans le folklore de certains pays du nord de l’Europe et des îles britanniques, la croix celtique a connu un regain de popularité au cours du XXe siècle, après avoir été adoptée par des courants de pensée ultranationalistes et explicitement racistes.
Racheté par l’extrême droite européenne au début du XXe siècle
Comme le relève un article du média indépendant Rapports de Force, c’est en Allemagne, entre les deux guerres, que le symbole de la croix celtique fut utilisé pour la première fois dans une perspective identitaire par le mouvement « völkisch ». , nébuleuse politico-culturelle préfigurant le nazisme. Il s’agissait à l’époque de cultiver une fascination pour les cultures celtiques et vikings, qui serviront de base à la mythologie aryenne.
Sous une forme de plus en plus stylisée, où la croix finit par être entièrement incluse dans le cercle, l’emblème sera remis au goût du jour par les nazis dans les années 1930. Dans son objectif de créer une nouvelle religion, le Troisième Reich utilise, comme le christianisme au Moyen Âge, l’arme du syncrétisme et reprend ce symbole, qui sera associé à la fête des récoltes.
Une interprétation « centrée sur l’ethnicité ou la supériorité raciale », bien loin du sens originel
Parallèlement, la croix celtique fut également, pour la première fois, prise comme emblème par un parti politique. Elle fut ainsi associée pendant une douzaine d’années au parti collaborationniste norvégien Nasjonal Samling (littéralement, Rassemblement national), au pouvoir jusqu’en 1945, en lien étroit avec le régime d’Adolf Hitler.
Après la Seconde Guerre mondiale, la croix celtique continue cependant à servir de signe de ralliement à différents mouvements identitaires. Il devient alors un emblème associé au mouvement suprémaciste blanc, dans une célébration fantaisiste des origines à la fois celtiques et chrétiennes. Si le site Nordik Store rappelle que « leur interprétation, centrée sur l’ethnicité ou la supériorité raciale, va à l’encontre de l’origine et de la signification » de la croix celtique, ces petits groupes identitaires se sont donc définitivement emparés du symbole dans de nombreux pays occidentaux tout au long du XXe siècle.
“Cela ressemble à une cible.”
En France, cette appropriation culturelle aurait commencé avant même l’épisode de la Collaboration. « Rien à voir avec la culture celtique, mais en fait, la croix celtique dans sa forme très stylisée a été reprise par les nationalistes de l’extrême droite française, dès l’entre-deux-guerres, resitue Erwan Chartier. On le retrouve aussi chez les scouts, sous Pétain. En 1949, le militant néofasciste et pétainiste Pierre Sidos l’utilise comme emblème du groupe d’extrême droite Jeune Nation.
La croix celtique sera par la suite systématiquement reprise par des mouvements d’extrême droite française, comme Occident, l’Œuvre Française, l’Ordre Nouveau ou encore le mouvement étudiant du GUD (Groupement Union Défense). “Ce qui a dû leur plaire, c’est le côté néopaïen, et puis ça ressemble à une cible, mais il y a des gens qui aiment les armes dans ce mouvement politique”, poursuit le chercheur. Ce samedi 11 mai, les descendants directs de ces groupuscules n’ont pas hésité à arborer devant tout le monde ce symbole néo-nazi menaçant.