RAPPORTS. Piscines non déclarées, fraude à la TVA, travail au noir… Comment l’intelligence artificielle aide le fisc à traquer les fraudeurs

Le fisc utilise l’IA et plus largement les nouvelles technologies pour dénicher les contribuables qui ne paient pas tous leurs impôts. Pionnier en la matière, il travaille sur ces outils numériques depuis une dizaine d’années. Dernière avancée : le fisc chasse depuis les airs les constructions non déclarées.

Imaginez : vous construisez un garage, un abri de jardin, une maison et vous “oublier” pour le signaler. Vous risquez d’être attrapé par l’appareil « Terre innovante ». Son expérimentation a débuté dans neuf départements en 2022, avant d’être étendue à l’ensemble de la métropole l’année suivante, d’abord avec la détection des piscines non déclarées. Résultats : 140 000 piscines vidées, soit 40 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires.

« Aucune imposition déclenchée automatiquement »

Concrètement, l’algorithme compare les images aériennes publiques de l’IGN aux données cadastrales. S’il repère une piscine non déclarée sur une photo, il la signale. Un agent vérifie et, le cas échéant, le propriétaire est invité à régulariser sa situation. Marina Fages, responsable du bureau du cadastre et chargée de projet, précise : “Il n’y a pas d’imposition déclenchée automatiquement : un agent analyse, puis valide ou rejette la détection.” Et le taux de réussite ? « Après validation, 94 % des propriétaires confirment disposer d’une piscine. La proportion de détections validées en amont est d’environ 2/3. L’algorithme progresse : au début, on confondait parfois les bâches avec des piscines.

Les services fiscaux le faisaient déjà pour détecter les piscines non déclarées, mais seulement occasionnellement, explique Marina Fages : “Le véritable apport du projet Terrain innovant c’est le caractère systématique et industrialisé de cette détection. C’est vraiment un gage d’équité fiscale qui permet aux services fonciers d’être beaucoup plus impactants en termes de fiabilisation des bases sur ces axes.”

Mais Damien Robinet, secrétaire national du syndicat Solidaires Finances Publiques, dénonce un système « conditionné à la suppression de 300 emplois » Et un « une dématérialisation excessive, des conditions de travail dégradées pour le personnel des finances publiques et une dégradation de la précision du plan cadastral ». Il remet également en question l’appel à des prestataires externes : Bercy s’est d’abord appuyé sur Google et Capgemini pour développer ce projet à 30 millions d’euros, avant de réinternaliser progressivement les compétences. Marina Fages nous l’assure : “Le projet Terrain innovant change les méthodes de travail. C’est l’ajout d’une nouvelle corde à notre arc. L’arpenteur-géomètre reste un maillon essentiel de la mission fiscale.”

Le fisc développe de nombreux autres algorithmes

Le pôle « exploration de données » – data mining – le service de contrôle fiscal compte 33 membres dont 10 data scientists – c’est trop peu, selon un rapport du Sénat. Mais trois personnes supplémentaires viennent d’être recrutées dans le cadre de la lutte contre la fraude. Et il y a de la matière à explorer : six téraoctets.

Carole Maudet, directrice adjointe du contrôle fiscal, nous le décrit : « Nous disposons de millions, voire de milliards de données aussi bien en interne (déclarations par exemple) que celles de nos principaux partenaires, d’autres administrations de contrôle. Nous avons également des échanges automatiques d’informations avec d’autres administrations fiscales étrangères. ” Tout est stocké sur un serveur, ajoute le responsable du service Gilles Clabecq, “quelque part en France”. Nous n’en saurons pas plus, par mesure de sécurité.

Croiser ces données, c’est la mission des algorithmes du service qui font ressortir « anomalies ». Il suffit de mentionner les erreurs potentielles de déclaration, voire la fraude, tant pour les entreprises que pour les particuliers. Le premier modèle remonte à 2020, pour les particuliers, précise Gilles Clabecq : « Il a estimé le niveau d’imposition attendu en fonction de votre patrimoine immobilier. Cela a donné de très bons résultats : un dossier sur deux a abouti à une validation de l’anomalie.

Carole Maudet l’assure, après c’est toujours un humain qui décide : “Il n’y a pas de contrôle automatique. L’office transmet les informations aux services locaux qui décident seuls de lancer ou non un contrôle fiscal.”

« Il n’existe pas de robot ou d’humanoïde qui traverserait les couloirs et déciderait par lui-même. D’ailleurs, il n’y a pas d’intelligence artificielle sans être humain, ça n’existe pas.»

Carole Maudet

sur franceinfo

Mise au rebut du Web

L’année dernière, les contrôles du « exploration de données » a permis la récupération de 2,5 milliards d’euros sur 15,2 au total. Damien Robinet dénonce des suppressions d’emplois, « une dépossession des compétences techniques des personnels » Et “parfois une incompréhension des résultats proposés par l’intelligence artificielle”. La mise en œuvre du projet CVFR (Ciblage de la Fraude et Valorisation des Demandes) s’est accompagnée, selon la Direction Générale des Finances Publiques, de la suppression de 400 emplois à temps plein.

L’administration fiscale part également à la pêche aux informations sur les réseaux sociaux et les sites de vente en ligne. Petites annonces proposant des services (coiffure, déménagement, plomberie, informatique), des ventes ou locations de voitures au noir. L’idée est de vérifier par comparaison avec les bases de données fiscales si leurs auteurs déclarent tout cela à l’État. C’est appelé “grattage web” – récolte de données.

« L’expérimentation a débuté avec la loi de finances pour 2020 et a été reconduite en 2024 », explique Gilles Clabecq. La DGFIP est autorisée à collecter des données sur les réseaux sociaux pour une durée limitée. Cela permet de détecter trois anomalies : “Activités occultes, fraude à la domiciliation et, depuis la nouvelle expérimentation, détection de baisses de revenus.”

“Détecter les entreprises ou entrepreneurs qui déclarent un chiffre d’affaires qui semble incohérent avec leurs activités économiques sur les réseaux sociaux”

Gilles Clabecq

sur franceinfo

C’est “vraiment très encadré, évidemment tout est déclaré à la CNIL”, il ajoute. “Il y a un nombre très limité d’agents au sein du bureau qui collectent les données. Ils sont deux et deux autres personnes conçoivent les robots de collecte. C’est toujours l’humain qui intervient derrière, il n’y a pas un algorithme fou qui gratte toutes les pages des citoyens !

Comptes pseudonymes pour enquêter sur les réseaux

Autre nouveauté avec la loi de finances 2024 : certains agents “spécialement autorisé” pourra créer un compte pseudonyme pour enquêter sur les réseaux qui le nécessitent – par exemple Facebook, Instagram ou Linkedin. Cela sera possible dès la publication d’un décret d’application, qui devra être publié “prochainement”, précise la DGFIP. Pour Damien Robinet, “c’est de la communication”, “Aujourd’hui la grande fraude fiscale ne s’y cache pas. C’est un élément parmi d’autres, mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Il faut arrêter les suppressions de postes, nous en avons eu 36 000 depuis 2008 à la DGFIP”.

« Nous ne sommes pas anti-technologie chez Solidaires Finances Publiques, loin de là, résume le syndicaliste. La question est de savoir quel but nous accordons à l’utilisation des outils technologiques. Aujourd’hui, nous avons le sentiment qu’ils sont principalement déployés pour permettre des économies plutôt que pour avoir une efficacité substantielle en matière de contrôle fiscal.»

Bilan de cette expérimentation entre 2021 et mi-2023 : plus d’un million d’annonces aspirées, 160 dossiers d’activités occultes identifiés et 17 contrôles fiscaux lancés, révélés le monde en décembre dernier. Mais ce sont des chiffres provisoires, de nombreuses enquêtes sont encore en cours.

Elise

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