Q. Les villes de Québec ont connu plusieurs décès de piétons, dont un enfant tué sur le chemin de l’école, et plusieurs blessés graves sont à déplorer, dont un brigadier scolaire surpris en train de travailler. Concrètement, comment concevoir les rues pour réduire la dangerosité des déplacements motorisés en milieu urbain ?
R C’est simple : la rue doit refléter le Code de la sécurité routière. Que dit le Code ? Que les usagers de la route les plus vulnérables aient la priorité aux intersections. Mais, dans les faits, les aménagements routiers sont en contradiction avec le Code, car ils donnent la priorité aux conducteurs de véhicules motorisés, alors qu’ils ne l’ont pas. C’est sur cela que nous devons travailler.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE
Stein Van Oosteren au Tour de l’île de Montréal, accompagné de Suzanne Larreau, ancienne PDG de Vélo Québec
Un exemple concret est de réaliser des trottoirs traversants. En Amérique du Nord, les trottoirs coupés se retrouvent un peu partout, c’est-à-dire que le trottoir se termine et que le piéton doit descendre la rue pour traverser. Un trottoir traversant ne s’arrête pas, il traverse la rue avec le piéton et est compatible avec le Code de la sécurité routière. Les piétons sont également plus visibles, car ils restent plus haut que la rue.
C’est la même chose au carrefour : cyclistes et piétons y sont marginalisés. Créer une intersection à la hollandaise, avec des îlots qui donnent de l’espace aux cyclistes et obligent les automobilistes à faire un virage plus large et à ralentir, est une excellente solution.
Q. On a souvent l’impression que des endroits comme les Pays-Bas ont toujours été des paradis pour la marche et le vélo. C’est oublier que, dans les années 1950 et 1960, la voiture y était reine et les déplacements actifs y étaient tout aussi dangereux qu’ailleurs…
R Absolument. Des enfants sont régulièrement tués par des conducteurs de véhicules à moteur aux Pays-Bas et des voitures jonchent les rues. En 1971, Simone Langenhoff, 6 ans, a été tuée par un conducteur alors qu’elle se rendait à l’école à vélo. C’est son père, Vic Langenhoff, qui milite alors pour rendre les déplacements actifs plus sûrs, et lance un mouvement national qui remet l’humain au cœur des villes.
Depuis le début des années 2000, le nombre de piétons mortellement heurtés par des conducteurs de véhicules automobiles aux États-Unis et au Canada a énormément augmenté. Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait aucune volonté de calmer la circulation.
Il y a aussi la mode des SUV, qui sont plus meurtriers dans les accidents parce qu’ils ont un profil élevé et frappent les gens dans les organes vitaux, pas dans les jambes, et ont d’énormes angles morts. En ville, les VUS sont comme des éléphants aveugles dans un magasin de porcelaine : le pire moyen d’éviter les dégâts est de coller un petit message sur la porcelaine disant : « Soyez prudent avec la porcelaine ». La seule façon de faire des gains est de mettre en place des barrières physiques et d’empêcher l’éléphant d’entrer en scène. En Amérique du Nord, cela n’a pas été fait, les routes sont immenses, les automobilistes sont très encouragés à prendre de la vitesse et à effectuer des virages conçus pour ne pas avoir à ralentir. Ce que nous sacrifions, c’est une belle ville, une ville pour nos enfants.

PHOTO FOURNIE PAR STEIN VAN OOSTEREN
Paris a repensé certaines de ses rues pour couper la circulation automobile
Oubliez les étiquettes « piétons » et « cyclistes »… La question à se poser est : « Voulons-nous une ville où un enfant de 9 ans peut aller seul à l’école ? Aux Pays-Bas, c’est le cas : trois enfants sur quatre vont seuls à l’école. Si nous voulons cela, nous devons radicalement accepter notre manière d’aménager l’espace public pour en faire un espace actif. Les personnes âgées ont besoin d’une activité physique modérée tous les jours. Les enfants jusqu’à 18 ans ont besoin de 60 minutes d’activité physique par jour. Or, dans le monde occidental, les enfants ont perdu un quart de leur capacité cardiovasculaire au cours des 40 dernières années. Les enfants sont à l’intérieur des bâtiments, devant leurs écrans, en train de végéter. Pour leurs déplacements, ils sont transportés sur la banquette arrière d’un véhicule. C’est mauvais physiquement, mais aussi psychologiquement, car un enfant qui est transporté ne développe pas son autonomie mentale. Il s’habitue à ce que quelqu’un d’autre décide à sa place.
Q. Il y a 168 « rues scolaires » à Paris, des rues récemment piétonnes, végétalisées et rendues aux écoliers et aux citoyens après avoir longtemps été destinées au transport motorisé. Comment cela a-t-il été accepté par la population ?
R La circulation automobile a été coupée dans ces rues, mais ils l’ont fait d’une manière très impressionnante. Ils ne se sont pas contentés de mettre une barrière, parce qu’en mettant une barrière, vous coupez la circulation, mais visuellement vous laissez intact ce que j’appelle le « gros serpent noir dangereux », c’est-à-dire la rue à l’ancienne, conçu pour les voitures, qui est comme un serpent qui va partout et qui presse les autres usagers le long des façades des immeubles. Ce que Paris a fait, c’est qu’ils ont complètement transformé ces rues en une sorte de place. C’est ce qu’ils ont fait rue Éblé, près de mon bureau, qui est devenu une place pleine de verdure où les enfants jouent et apprennent à faire du vélo. Avant, le milieu de la route était l’endroit le plus dangereux, après, le milieu de la route devient l’endroit le plus agréable où tout le monde veut traîner, et c’est la clé pour que ces projets fonctionnent.
Apprendre encore plus
- 11%
- C’est l’augmentation des déplacements à vélo à Paris de janvier à septembre 2022 par rapport à 2021.
Etude Vélo & Territoires
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