sur les barricades de Nouméa, deux peurs s’affrontent

Un barrage routier à l'entrée du quartier Tuband, à Nouméa, le 15 mai 2024.

Dans les rues désormais désertes de Nouméa, une fois la nuit tombée, toute personne étrangère est considérée comme hostile. Impossible de se déplacer sans tomber sur une barricade et devoir se montrer devant des « comités de quartier » nés spontanément aux premières heures des émeutes, tantôt relativement détendus, tantôt intimidants. Les armes à feu sont discrètes, mais sont présentes à la grande majorité des barrages routiers.

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Mardi 14 mai, plusieurs personnes ont été tuées lors de troubles d’une violence sans précédent. Morts sous les balles de leurs concitoyens. « Probablement par quelqu’un qui avait peur », a lancé le Haut-Commissaire de la République, Louis Le Franc, en annonçant le premier décès. Le bilan, mercredi après-midi (heure métropolitaine), s’élevait désormais à quatre morts, dont un gendarme qui avait été grièvement blessé par balle dans la tête la nuit précédente. « Il existe des milices armées qui se forment pour se protéger. Mais les milices doivent aussi entendre l’appel au calme”, a rappelé le haut-commissaire lors d’une conférence de presse.

Milice, le terme qui réveille le spectre de la guerre civile des années 1980 – les événements – sème la peur dans les quartiers à majorité kanak. Sur les messageries instantanées, des rumeurs invérifiables, appuyées par des photos de pick-up aux vitres fumées, parlent d’expéditions punitives, au cours desquelles de jeunes Océaniens seraient pourchassés. Une vidéo authentique diffusée hier soir montre un homme blanc tirant délibérément en direction de deux jeunes Kanak marchant sur la route du quartier de Magenta. Le contexte est inconnu, mais l’effet est dévastateur.

« Des voisins vigilants »

Le terme de milice est rejeté par les comités de quartier, qui se présentent comme « des voisins vigilants » ou des groupes de défense civile. Mais les réalités sont en réalité très disparates. Au Mont-Coffyn, le barrage a été réalisé en urgence par un petit groupe de résidents, réunis sur le groupe de discussion Facebook du quartier. Situé au sommet d’une colline, le quartier huppé est totalement épargné par les émeutes qui secouent la ville depuis lundi soir. Ce sont les innombrables vidéos de pillages et d’incendies qui ont fini par convaincre ces pères et mères de sécuriser leur quartier.

Un peu surpris, ils ont improvisé une barrière filtrante : un tronc d’arbre, des branches, une brouette et un vieux pneu. Nous l’avons traversé sans grande cérémonie. Pas de matériel, ni même de bâton, Jean-René (les personnes citées par leur prénom ont souhaité rester anonymes) l’assure : « Ici, on ne voulait pas d’armes, parce que d’un côté c’est dangereux et quand on a des armes, il arrive des incidents, parfois graves, donc on veut juste être vigilants ».

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