Sur l’île grecque d’Anticythère, les oiseaux migrateurs sont témoins des changements climatiques

L’aube vient de se lever sur l’île isolée d’Anticythère, en Grèce, alors qu’Elisabeth Navarrette et Christos Barboutis déploient des filets autour des oliviers, éclairés uniquement par leurs lampes frontales.

Objectif : capturer et baguer temporairement des oiseaux migrateurs, porteurs d’informations précieuses sur l’environnement et le changement climatique.

Le chant des criquets a laissé la place au chant d’un coq et d’oiseaux sur cette petite île située au milieu de la mer Égée et qui ne compte qu’une vingtaine d’habitants.

L’extrémité de la péninsule balkanique, en Méditerranée orientale, constitue un couloir privilégié pour les oiseaux migrateurs.

À l’automne, les tourterelles, les parulines, les torcols, les guêpiers aux couleurs vertes, jaunes et orange ainsi que les buses, les faucons et autres oiseaux de proie migrent de l’Europe du Nord vers l’Afrique.

Au printemps, ils font le trajet en sens inverse.

Reliée uniquement par bateau aux îles voisines de Cythère et de Crète, Anticythère, avec ses impressionnantes falaises, ne compte que deux cafés qui font également office de tavernes et ne peuvent accueillir qu’une quarantaine de visiteurs en été.

– Essaim d’aigrettes –

Une nuée d’aigrettes blanches et argentées survole Potamos, le port d’Anticythère aux petites maisons blanches serrées.

Depuis quinze ans, Christos Barboutis, responsable scientifique de la station locale de la Société des Ornithologues (HOS), surveille le passage des oiseaux migrateurs et analyse les données sur l’évolution de leur population et les éventuelles menaces pesant sur leur voyage.

“Les oiseaux sont d’excellents biomarqueurs des changements et des menaces environnementales”, notamment les oiseaux migrateurs, explique l’ornithologue de 45 ans.

Ceux-ci « sont parmi les premiers touchés par les changements climatiques comme la sécheresse, ce qui pose un problème majeur pour leur voyage lointain », poursuit-il.

« Leur observation nous alerte si quelque chose change ou ne va pas » dans la nature.

Ainsi le réchauffement climatique peut affecter leur comportement, leur alimentation et modifier leur capacité à s’adapter aux changements environnementaux.

– “en déclin” –

Une fois le soleil levé, deux volontaires grecques et canadiennes, Nefeli Marinou, 21 ans, et Jennifer Evans, 25 ans, récupèrent soigneusement les oiseaux piégés dans les filets.

L’heure est au baguage : une opération « cruciale » pour répertorier les données biométriques, selon Christos Barboutis.

L’ornithologue Elisabeth Navarrette mesure la longueur des ailes d’une calotte noire puis examine son ventre, indicateur de sa santé.

Christos Barboutis passe soigneusement une bague métallique qui porte un numéro d’identification unique tandis que Nefeli Marinou note l’espèce, l’âge, le sexe et la date sur un répertoire.

L’oiseau est immédiatement relâché.

«Quand (un oiseau) est capturé par une autre station, on peut en déduire combien de temps il a mis pour arriver jusqu’ici», explique Jennifer Evans. Et si « l’espèce en question est en déclin ou stable ».

Une quarantaine d’oiseaux ont été bagués ce jour-là sur cette île appartenant au réseau européen Natura.

L’enregistrement des données à Anticythère a commencé il y a 20 ans, une période scientifiquement courte pour tirer des conclusions à long terme, souligne Christos Barboutis.

Mais les incendies de forêt qui ravagent la Grèce chaque été, les activités humaines comme l’utilisation de pesticides ou l’expansion des zones urbaines, révèlent des “tendances”, selon lui.

Les oiseaux arrivent donc désormais plus tôt en Europe en raison des températures plus élevées.

En Albanie voisine, la lagune de Vain, route migratoire également connue pour sa biodiversité, voit le nombre d’oiseaux diminuer chaque année.

– indicateur –

Anticythère, comme les autres îles du sud de la Méditerranée, sert de lieu de ravitaillement alimentaire aux oiseaux migrateurs qui poursuivent ensuite leur long voyage.

Lorsqu’il ne pleut pas, comme cette année en Grèce, la sécheresse constitue une menace : la verdure est réduite et la nourriture n’est pas suffisante.

Et si certaines espèces qui dépendent des habitats de reproduction du nord de l’Europe ne se portent pas bien, cela peut être dû à des incendies ou à la hausse des températures.

Au sommet d’un rocher, l’étudiant bénévole Nikolas Promponas surveille les oiseaux avec un télescope et des jumelles.

Les rapaces notamment ont besoin des côtes et des crêtes, formations géologiques présentes à Anticythère, pour prendre de la hauteur, explique-t-il.

Son préféré : le faucon d’Éléonore aux longues ailes et au regard sympathique. La Grèce possède 80% de la population mondiale de cette espèce rare au moment de sa reproduction.

hec/yap/sk