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TÉMOIGNAGES. Pourquoi y a-t-il si peu de femmes entraîneurs dans le football féminin ?

“Ceci est un problème majeur. Nous avons beaucoup de travail à faire pour combler cet écart. » En février, Emma Hayes, l’entraîneur emblématique de l’équipe féminine de Chelsea, avait mis en garde contre le manque d’entraîneures féminines dans les meilleures divisions féminines. En Angleterre, il n’y a que cinq des douze équipes en première division. C’est un peu, mais plus qu’en Espagne (1 sur 16), en Allemagne (2 sur 12) ou encore en France (4 sur 12).

En France, seuls l’Olympique Lyonnais, le Paris FC, le Stade de Reims et le Losc comptent une femme sur leur banc, auxquels on peut ajouter le RC Lens et Montauban en deuxième division, ce qui porte le total à six sur 24. “C’est trop peu, c’est même honteux”s’insurge Soraya Belkadi, à la tête de Montauban depuis dix ans. « Et pourtant, à une époque, nous étions moins nombreux, ajoute Amandine Miquel, entraîneur du Stade de Reims depuis 2017. Il m’est déjà arrivé d’être seul en première division. »

“On ne se met pas à réfléchir”

Alors comment expliquer ce faible chiffre ? Pour le premier concerné, la raison principale réside dans le sexisme inhérent à la société et au football. « Le monde du football est un bastion masculin, encore assez réactionnaire. Ce sont les clichés classiques : une femme ne doit pas accéder à des postes de pouvoir, prendre des décisions. Le réconfort pour les dirigeants est de prendre un homme. Ceux qui nomment une femme exigent d’elle bien plus que d’un homme. Nous exigeons de la femme compétence et surcompétence.»assure Annie Fortems, co-fondatrice de l’ES Juvisy (devenu depuis Paris FC), club féminin français emblématique, et très impliqué dans l’intégration des femmes dans le milieu sportif.

Amandine Miquel est d’accord : « Le football est un sport à forte connotation masculine. Un président de Ligue 1 ou de Ligue 2 ne se pose jamais la question de prendre femme ou juste de faire le buzz. » Jusqu’à présent, Corinne Diacre reste la seule femme à avoir entraîné une équipe professionnelle masculine. C’était au Clermont Foot, de 2014 à 2017. “On ne se met pas à réfléchir”Juge Miquel.

La sélectionneuse de 40 ans se souvient d’une anecdote, il y a une dizaine d’années, alors qu’elle dirigeait une équipe féminine de R1. « L’entraîneur des Nationaux U17 a été suspendu et pour être sur le banc à ce niveau il faut du DES (Diplôme Supérieur d’Etat), ce qui était mon cas. Lors d’une réunion, je vois tout le monde confus, ne sachant pas quoi faire. A aucun moment ils n’ont pensé à moi alors que j’étais assis à la même table. C’est comme si je n’existais pas, cela ne leur a pas traversé l’esprit. Je trouve ça fort parce que ça ne rentre même pas dans les possibilités. » Le sélectionneur n’est finalement pas intervenu, laissant les dirigeants se débrouiller seuls.

Amandine Miquel a réussi à qualifier le Stade de Reims pour les demi-finales de D1F. | PHOTO : STADE DE REIMS

Amandine Miquel a réussi à qualifier le Stade de Reims pour les demi-finales de D1F. | PHOTO : STADE DE REIMS

Mais tous refusent la mise en place de quotas. “C’est la compétence qui doit primer, pas le genre”, estime Soraya Belkadi, sélectionnée en équipe de France en 1998. Cette dernière estime que les choses vont vraiment changer lorsque les responsabilités au sein d’un club, la présidence notamment, seront exercées par davantage de femmes. Un autre combat. « Être président d’un club apporte un côté stratégique, organisationnel et fédérateur. S’il y avait plus de femmes présidentes, je ne suis pas sûr qu’elles opteraient directement pour la candidature d’un homme. Les femmes ont une autre vision. »

Un plan de développement du football féminin, piloté par Jean-Michel Aulas, a été lancé en 2023 afin de « renforcer la structuration et la professionnalisation » de discipline. Au programme, la création d’une ligue professionnelle féminine pour la saison prochaine et l’ouverture de centres de formation équivalents aux minimums des structures de formation masculines. Aucune mention de l’aide à l’intégration des femmes aux postes d’entraîneurs.

Concurrence des hommes

Le revers de la médaille de cette professionnalisation progressive du football féminin est que les hommes recherchent de plus en plus de postes alors que le nombre de clubs est encore limité en D1 et D2. Avec un CV qui peut parfois laisser songeur. « On ne va pas se mentir, ce n’est pas ceux qui réussissent chez les garçons qu’on fait reculer chez les filles et souvent dans de très bonnes positions. Cela me laisse perplexe, déclare Amandine Miquel. Quand on échoue chez les garçons, on a les meilleures équipes féminines. Ce n’est pas gratifiant pour nous. Et d’un autre côté, les meilleurs entraîneurs féminins ont du mal parce que nous ne pouvons pas avoir d’équipes masculines ou féminines. Ça me donne envie d’arrêter”souffle le coach rémois.

« Pour eux, c’est l’opportunité d’accéder au plus haut niveau, à la notoriété, aux médias, aux compétitions européennes, souvent grâce à leurs réseaux. Ils savent qu’ils n’ont aucune chance dans le football masculin car la compétition est beaucoup plus rude. estime Annie Fortems. Nous avons créé le football féminin contre l’avis des hommes, nous avons lutté contre l’avis des autorités et maintenant que ça marche, ce sont les hommes qui se sont placés.”elle regrette.

Le prix des diplômes peut être un frein

Pourtant, être une femme pour coacher des femmes peut constituer une force, notamment en management. “Plusieurs entraîneurs m’ont dit que certains qui étaient compétents avec les garçons ne l’étaient pas avec les filles en termes de psychologie alors que quelqu’un qui réussit bien avec les filles aura plus de succès avec les garçons”, assure Soraya Belkadi. Amandine Miquel va également dans ce sens. « C’est un avantage majeur d’être une femme et on le néglige beaucoup trop. Avoir déjà été joueuse dans un vestiaire féminin aide beaucoup sur la psychologie et la compréhension des comportements. Il faut savoir repérer les petits potins, les détails dans les interactions, les petits vices”, énumère-t-elle. Des subtilités plus facilement repérables par une femme.

Soraya Belkadi aux côtés de Bernard Mendy, à l’époque dans le staff féminin du PSG. | PHOTO : CLUB DE FOOTBALL DE MONTAUBAN

Soraya Belkadi aux côtés de Bernard Mendy, à l’époque dans le staff féminin du PSG. | PHOTO : CLUB DE FOOTBALL DE MONTAUBAN

La question financière de l’acquisition des diplômes les plus élevés se pose également. Si le prix des premiers s’avère accessible et pris en charge par les clubs, la situation est d’autant moins vraie que le niveau de compétence augmente. Le DES coûte 16 000 €, le BEPF 27 000 €, il n’est donc pas étonnant de trouver quasi exclusivement des coachs au sein de clubs professionnels, qui participent au financement.

“C’est très cher, il faut donc un club qui puisse supporter le coût, sinon cela peut être un énorme obstacle pour les femmes, même pour celles qui ont une expérience de joueuse”, assure Soraya Belkadi. Si les anciens joueurs de première division disposent souvent des fonds nécessaires, la tâche est en réalité bien plus compliquée pour les femmes. Selon les estimations quotidiennes L’équipe publié en 2022, un joueur du championnat de France gagne en moyenne 100 000 € brut par mois tandis qu’en D1 Arkéma, le salaire moyen de la saison 2022-2023 s’élève à 3 870 € brut mensuel. Un gouffre qui limite l’accès aux meilleures formations, déjà très sélectives. « Ils ont déjà fait beaucoup d’efforts dans leur carrière, souvent tout en exerçant un métier en parallèle et cela ne leur donne pas forcément envie de réinvestir là-dedans. »

« Il faut avoir des modèles »

En 2020, la Fédération française de football a tenté de résoudre le problème en lançant le CEFF, le Certificat d’entraîneur de football féminin, en accord avec l’UEFA, dans le but d’augmenter le niveau de compétence des entraîneurs de D1 et de D2 alors que le BEPF reste très sélectif (10 places). ) et encore plus difficile d’accès pour les femmes. La plupart des entraîneures féminines de D1 et D2 ont été incitées à le passer malgré quelques critiques dont celle d’Annie Fortems, jugeant le diplôme sexiste et hors de propos : « Nous sommes un entraîneur de football, pas un entraîneur de football féminin. »

Après une brillante carrière de joueuse, Sonia Bompastor est aujourd’hui l’entraîneur de l’Olympique Lyonnais féminin. | PHOTO : FRANCK FIFE/AFP

Après une brillante carrière de joueuse, Sonia Bompastor est aujourd’hui l’entraîneur de l’Olympique Lyonnais féminin. | PHOTO : FRANCK FIFE/AFP

Amandine Miquel et Soraya Belkadi, présentes à la formation, ont plutôt apprécié. “On a fait nos séances sur les groupes féminins, on a étudié les données et performances sportives des équipes féminines, proches de ce qu’on pratique alors qu’au BEPF, on analyse beaucoup de Ligue 1”, admet le premier. Le second avoue avoir aimé certaines parties mais regretté « des formateurs qui n’ont jamais eu à gérer une équipe au quotidien ». La classe a terminé la formation mais le diplôme n’a pas été reconnu par l’UEFA et est donc finalement inutile. “Ce n’est pas ce qu’on nous a vendu au départ, c’est une grosse tromperie, souffle Soraya Belkadi. C’est toujours pareil : on nous dit que le football féminin va progresser mais à chaque fois il se disperse. Cela a toujours été comme ça. »

A LIRE AUSSI. D1F. Equipes, heure, chaîne TV… Tout ce qu’il faut savoir sur les demi-finales du championnat de France féminin

Au-delà des difficultés internes au football, il existe aussi un frein interne chez certaines filles, la faute au manque de figures à qui s’identifier. « Il nous faut des modèles, dit Annie Fortems. C’est un gros problème quand on ne peut pas s’identifier. Sonia Bompastor ou Amandine Miquel peuvent inspirer beaucoup de monde. » Cette dernière, issue du monde amateur et au parcours de joueuse très modeste, puisait sa motivation dans la difficulté.

« J’aime quand les gens me disent que c’est impossible. Pourquoi faut-il avoir été un joueur de haut niveau pour devenir entraîneur ? Il y a quelques exemples comme moi parmi les hommes (Julien Stéphan, Franck Haise, Will Still…) mais chez les femmes, on part d’encore plus loin. Il n’y a aucun profil comme moi, et c’est une vraie source de motivation. » Depuis, l’entraîneur rémois a été retenu dans la prochaine promotion du BEPF, une première pour une femme sans carrière de joueuse. Elle croit fièrement que son parcours peut inspirer les petites filles. « Si je réussis, quelque part en France une jeune fille de 16-17 ans se dira qu’elle peut être entraîneur en D1 mais peut-être aussi plus haut ! C’est mon leitmotiv : faire venir une partie de la population qui dit que ce n’est pas pour elle. »

Fleur

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