LLa France a un nouveau Premier ministre, mais à quel prix. Soixante jours après le second tour des législatives, qui s’est soldé par une défaite de son camp, Emmanuel Macron a décidé de sortir le pays du gel politique dans lequel il le maintenait abusivement. A 73 ans, l’ancien négociateur du Brexit, Michel Barnier, est devenu le Premier ministre le plus âgé du Vet République, succédant au benjamin, Gabriel Attal, 35 ans, qui avait été nommé en janvier et n’avait pas caché sa “frustration” de n’avoir pu gouverner que pendant huit mois.
Le choix, par défaut, d’un négociateur expérimenté, qui, à peine nommé, a insisté pour « changement et rupture » mais aussi sur « l’écoute et le respect », est censé stabiliser quelque peu le jeu politique à la fin de la séquence inquiétante que le président de la République a ouverte en décrétant, le 9 juin, une dissolution qui s’est retournée contre lui.
Pour l’heure, son premier effet est d’endommager davantage le front républicain qui s’était mis en place auprès de nombreux électeurs pour protéger le pays du danger majeur auquel l’avait exposé la décision incohérente d’Emmanuel Macron : l’arrivée au pouvoir en France d’un parti d’extrême droite, et de son idéologie raciste et xénophobe.
Agitation démocratique
Alors que la gauche est arrivée en tête au second tour, c’est un membre des Républicains, dont le parti s’était exempté de ce réflexe civique, tout en en profitant pour sauver des sièges, qui l’a emporté. Alors qu’il fallait tenir à distance le Rassemblement national (RN), qui compte encore 123 élus dans la nouvelle Assemblée, c’est le parti de Marine Le Pen qui a rendu possible le choix de Michel Barnier en annonçant qu’il ne le censurerait pas d’emblée. De fait, le futur gouvernement se retrouvera sous la surveillance d’un RN revenu dans le jeu politique, en position d’arbitre ou de censeur.
L’anomalie évidente créée par le choix de ce Premier ministre est donc loin de clore la crise politique ouverte par la dissolution. Elle ne paraît pas non plus de nature à inverser la crise de confiance que reflète l’enquête électorale publiée dans nos colonnes vendredi 30 août. Tous les partis partagent la responsabilité de cette situation. Après la longue phase de tergiversations de l’été, les négociations des derniers jours ont montré à quel point la capacité à parvenir à un compromis et à construire une coalition avait disparu de la culture politique française. En rejetant d’emblée cette logique, le Nouveau Front populaire a torpillé ses chances d’imposer un candidat à Matignon.
Mais le retard d’Emmanuel Macron à reconnaître sa défaite, son refus de s’appuyer sur l’Assemblée nationale pour créer une majorité stable, ne peuvent qu’aggraver ce désordre démocratique. Tout comme sa tendance à penser qu’une seule politique est possible et, in fine, qu’un seul acteur est capable de la mener.
Face aux nombreux dangers du moment, Michel Barnier a promis de répondre aux ” colère “ et à « souffrances » des Français, notamment en pointant du doigt l’accès aux services publics, le niveau de vie, la sécurité et l’immigration. La présentation du projet de loi de finances pour 2025 s’annonce d’emblée comme un test redoutable. Les chances de survie politique du nouveau Premier ministre reposent sur ses talents de négociateur. Il faut espérer qu’ils seront déployés dans le strict respect des principes sur lesquels repose notre République.