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un succès romantique qui raconte l’histoire d’une dynastie d’échecs

C’est l’un des grands livres de cette rentrée littéraire 2024. Lauréat du Prix Goncourt 2012 pour “Le Sermont sur la chute de Rome”, Jérôme Ferrari consacre le premier volet d’une trilogie à l’élucidation d’un crime sur fond de surtourisme en Corse.

France Télévisions – Culture Edito

Publié


Temps de lecture : 4 min

Bien plus qu’un roman policier et pas vraiment une saga familiale. Alors que son précédent roman À son image vient d’être porté à l’écran, Jérôme Ferrari fait son grand retour avec Sentinelle du Nordpublié le 21 août 2024, chez Actes Sud.

L’histoire : L’un est natif de l’île, héritier d’une longue dynastie qui tourne autour de l’escroquerie, l’autre est parisien, et vient passer ses vacances en Corse où ses parents possèdent une maison depuis qu’il est tout petit. Les deux sont des amis qui se connaissent depuis l’enfance. Pourquoi l’un des deux jeunes hommes va-t-il poignarder l’autre ?

Au commencement était le premier voyageur, celui qui pose le pied sur une terre nouvelle, qui explore. Celui-là, explique avec humour Jérôme Ferrari, devrait en quelque sorte être piqué à la naissance : «Le premier qui poserait le pied sur le rivage, même s’il était animé des intentions les plus pacifiques et les plus louables, même s’il était un saint, même s’il était le sauveur du monde en personne, lui et tous ceux qui l’accompagnaient, sans distinction d’âge ou de sexe, devraient être tués. Car derrière lui, inévitablement, ce sont des hordes qui débarquent. Pas forcément toujours des envahisseurs, non, juste parfois des touristes, comme ces jours-ci en Corse. L’île de Beauté n’est jamais nommée comme telle, pas plus que la ville dans laquelle se déroule l’intrigue, mais ceux qui connaissent retrouveront les lieux dans les descriptions très précises de Jérôme Ferrari.

L’intrigue du roman est également très précise. Elle alterne entre différents récits, entre des récits à la première et à la troisième personne, qui ne se situent pas forcément à la même époque. Pour faire tenir l’ensemble, il fallait une structure très solide, et le pari est réussi. Ce qui n’empêche pas les envolées oniriques à certains moments du texte, qui ancrent les différentes voix dans quelque chose qui les dépasse, et qui est de l’ordre du destin, thème cher à l’auteur.

Grâce à une distance faite d’humour provocateur, absurde et tendre envers ses personnages, la machine à remonter le temps nous emmène au début du siècle dernier pour tenter de percer le mystère de ce coup de poignard. Les personnages sont-ils vraiment maîtres de leur destin ? Ou une main invisible les prédestine-t-elle à accomplir l’inévitable ? Pourquoi, en somme, cette « file de branleurs », selon Jérôme Ferrari ? Toute la tension du récit est là, dans cette oscillation perpétuelle jamais coupée entre déterminisme et libre arbitre, fatalité, chute et pulsion de vie. Une oscillation qui, chez Jérôme Ferrari, est de l’ordre de la tragédie grecque, une sorte de mouvement qui emporte les personnages malgré eux, et dont pourtant ils ne sont pas totalement innocents.

Le rapport à la mort est un autre thème central du roman, qui déconstruit avec brio le mythe de la vendetta corse en le ramenant à ses sordides débuts. Un mythe exotique pour le continent, propagé au siècle dernier également par la littérature. Jérôme Ferrari affronte le cliché, et en fait autre chose, avec un style qui alterne entre réalisme absolu et conte onirique. Un melting-pot d’humour, de fantastique et de réalisme qui fonctionne à merveille.

Sentinelle du Nord de Jérôme Ferrari, éditions Actes Sud, 144 pages, 17,80 euros (12,99 euros numérique).

Extrait : “Rien ne pouvait jamais ébranler la haute opinion qu’ils avaient d’eux-mêmes ; seul importait ce qu’ils étaient, non ce qu’ils faisaient. Quelles que soient leurs turpitudes, la supériorité de leur essence inaltérable les préservait du remords ou du déshonneur. Ainsi l’on raconte qu’un grand-oncle de Philippe, François Romani – dont j’avais si peur quand j’étais enfant, que je ne pouvais m’empêcher de le regarder avec une fascination morbide, immobile dans son haut fauteuil de velours violet au milieu de l’immense salon de la maison familiale, les doigts crispés sur les accoudoirs élimés, la faïence de ses yeux de poupée ouverts sur le vide affreux et la bave coulant de sa bouche édentée sur la mâchoire pendante qu’une main de vieille femme ridée essuyait machinalement à intervalles réguliers avec un mouchoir de dentelle tout raide de crasse pendant que Philippe et moi tâchions de ramollir les gâteaux rassis de nos goûters, les laissant tremper dans nos bols de café au lait – ainsi l’histoire raconte-t-elle que François, avant une rupture L’anévrisme le clouait à jamais sur sa chaise, avait pu mener une vie fière d’ivrogne professionnel sans que personne dans sa famille ne s’en offusque ; il avait ainsi passé le plus clair de son temps à s’enivrer dans tous les bars et cabarets de la ville, titubant d’un établissement à l’autre de la citadelle au port, pissant à grands jets contre le mur de l’église en hurlant des obscénités et finissant inévitablement par s’endormir sur le trottoir, se vautrant dans son propre vomi, jusqu’à ce qu’un patron de bordel compatissant ou quelque Samaritain le hissât tant bien que mal sur sa mule, penché sur le cou ou couché en travers de la colonne vertébrale comme un sac de farine, afin que la bonne bête le ramène chez elle pour dormir jusqu’au soir suivant. Si quelqu’un trouvait à redire au comportement de Francis ou évoquait pudiquement des notions de décence ou de dignité, sa mère se contentait de hausser les épaules avec mépris et disait seulement : :nous savons qui il est.”

Juliette

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