Sur la façade d’un bâtiment conventuel d’Ambronay, dans l’Ain, deux danseurs proposent un spectacle d’un type nouveau qui bouleverse les repères des spectateurs.
Depuis une dizaine d’années, l’abbaye médiévale d’Ambronay, dans l’Ain, connue pour son festival de musiques anciennes et baroques, n’a pas d’égal pour découvrir et apprécier son patrimoine : tournées musicales avec spectacles vivants, créations théâtrales, visites « folles »… Sur ces Journées européennes du patrimoine 2023 les 16 et 17 septembre, c’est l’un des bâtiments qui accueille les visiteurs, l’imposante et majestueuse Tour des Archives, qu’on ne verra pas de la même manière. Sa façade principale devient le terrain de jeu de deux danseuses suspendues.
Une vingtaine de mètres en toute verticalité
Vestige le plus reconnaissable de l’ancien château construit par les comtes de Savoie entre 1310 et 1312 pour faire face aux guerres delphino-savoyardes, la Tour des Archives perd donc un peu de son austérité le week-end. La pierre blanche caressée par le soleil accueille les silhouettes bleues mouvantes des danseuses – Séverine Bennevault Caton et Violaine Garros – qui, partant du haut de la tour, se déplacent, accrochées à des cordes ou des élastiques, sur une vingtaine de mètres en toute verticalité jusqu’à le glacis, partie inférieure évasée de l’édifice.
Les deux corps, positionnés perpendiculairement à la façade, se lancent dans une danse coordonnée, ici un saut, là une pirouette, là encore un pas de géant qui semble ignorer la gravité. Ils se croisent, se rapprochent ou s’éloignent au gré des mouvements d’une tarentelle ou d’un air baroque italien joué au pied de la tour par l’ensemble Chiome d’oro de Pierre-Louis Rétat. L’instant magique laisse sans voix les amateurs de belles pierres et soudain spectateurs d’un spectacle hors du temps et hors sol.
Des monuments perturbés
« La danse suspendue bouleverse tous les repères du public », explique la chorégraphe Séverine Bennevault Caton, fondatrice de la compagnie A fleur d’airs, à l’origine du spectacle. Et voilà ce qui l’intéresse : « Cela fait ressentir au public des choses qu’il ne peut normalement pas ressentir. En réalité, comme beaucoup de chorégraphes, je cherche à enrichir la gamme émotionnelle des gens. » Et «la voltige, le saut, le rebond » y contribuer.
Mais si le spectateur a la sensation que les danseurs évoluent en apesanteur, c’est en réalité l’inverse qui se produit pour les artistes qui voient eux-mêmes leur environnement spatial perturbé. « Nous sommes complètement confrontés à la gravité et, en inclinant tout à 90°, nous sommes toujours dans une lutte musculaire pour donner l’illusion que nous marchons sur un mur comme lorsque nous marchons sur le sol ».
A la fois très technique et infiniment poétique, le spectacle n’est évidemment pas une improvisation. Formée au Conservatoire National Supérieur de Danse de Paris (CNSMDP) mais évoluant dans la danse suspendue depuis une quinzaine d’années, Séverine Bennevault Caton a appris à écrire ses performances rapidement, car le temps est souvent limité. « J’écris le spectacle à partir de la façade, parce qu’elle peut me donner des idées et des contraintes, et à partir de la musique qui inspire les mouvements et m’oblige à suivre une séquence technique de l’agrès par laquelle passer ».
A sa manière, le spectacle de danse entre ciel et terre aura fait parler les pierres autant que la musique pendant la période du festival, et enchanté un public littéralement chamboulé.
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