jeillisible, vraiment ? Les papyrus, découverts vers 1752 dans une villa romaine d’Herculanum : une maison ayant appartenu à Calpurnius Pison Caesoninus, le beau-père de Jules César, furent longtemps crus indéchiffrables. Carbonisés lors de l’éruption du Vésuve en l’an 79 qui engloutit la ville en cendres, ces rouleaux révèlent pourtant aujourd’hui leurs secrets. Les nouvelles technologies d’imagerie médicale ont récemment été utilisées pour déchiffrer l’un de ces textes.
Un premier décryptage a permis de découvrir en 1991 une partie du texte de ce document contenant « L’Histoire de l’Académie » de Philodème de Gadara, un épicurien du Ieuh siècle après JC. Une étude, dirigée par le Conseil européen de la recherche (ERC) et réalisée en collaboration avec l’Institut des sciences du patrimoine culturel (ISPC) et l’Institut de linguistique computationnelle (ILC) du Conseil national de la recherche (CNR), rapporte aujourd’hui accessible le reste du rouleau.
Celui-ci contient donc « La Revue des Philosophes » encore une fois de Philodème de Gadara. En tout, mille mots nouveaux (ou lus différemment) ont été révélés, l’équivalent de la découverte d’une dizaine de papyrus… grâce à ce programme de recherche baptisé « Écoles grecques » et mené au sein de la Bibliothèque nationale de Naples.
Des progrès scientifiques considérables
“Pour la première fois, nous avons pu lire des séquences de lettres de ce papyrus qui étaient cachées”, se souvient Graziano Ranocchia, professeur à l’université de Pise, à l’origine de cette découverte. “Cette formidable avancée a été rendue possible en combinant deux techniques : la tomographie par cohérence optique et l’imagerie hyperspectrale infrarouge, grâce à un laboratoire mobile mis à disposition par l’université de Nottingham Trent”, poursuit l’universitaire qui publiera l’article le 8 mai. par Brill.
LIRE AUSSI Philosophie antique ou art de la compilation « L’empilement des couches, restant attachées les unes aux autres, présentait un gros problème. Jusqu’alors, il empêchait la lecture de presque tous les manuscrits découverts, soit environ 1 560 sur les 1 840 au total qui ont survécu à l’éruption du Vésuve », explique Graziano Ranocchia. En réussissant à identifier les différentes couches du texte et à les représenter virtuellement dans leur position originale, il est désormais possible de rétablir la continuité du texte et ainsi de récolter une énorme quantité d’informations sur ce passé lointain.
L’équipe italienne dirigée par le professeur Ranocchia (avec laquelle ont également travaillé Francesco P. Romano, Enzo Puglia, Claudia Caliri, Danilo P. Pavone, Michele Alessandrelli, Andrea Busacca, Claudia G. Fatuzzo, Kilian J. Fleischer, Carlo Pernigotti, Zdenek Preisler, Christian Vassallo, Gertjan Verhasselt et Costanza Miliani) ont publié leurs premiers résultats dans la revue Nature le 21 avril.
Un morceau d’histoire ancienne révélé
« Cette mise à jour des papyrus augmente de 30 % la quantité de textes déchiffrables », s’enthousiasme l’helléniste Caroline Fourgeaud-Laville, fondatrice de l’association Eurêka, au sein de laquelle elle enseigne et anime des ateliers de grec ancien. Ces passages fournissent des informations précieuses sur la mort de Platon. « Le texte nous apprend que le philosophe serait enterré dans le jardin de l’Académie d’Athènes, non loin du Museion. Il précise également qu’il fut vendu comme esclave sur l’île d’Égine en 404 avant JC, lorsque les Spartiates conquirent l’île, alors que jusqu’à présent l’épisode était supposé dater de son séjour en Sicile à la cour de Denys de Syracuse, vers 387. Colombie-Britannique », poursuit Caroline Fourgeaud-Laville.
Mais les surprises ne s’arrêtent pas là. Les circonstances mêmes de la mort de Platon sont désormais mieux connues grâce à ces nouveaux écrits. C’est au son de la flûte jouée par une Thrace, qui devait illuminer les dernières heures de sa vie, que Platon mourut. Cependant, le philosophe ne semble pas avoir apprécié ses mélodies : « Bien que fiévreux et aux portes de la mort, il a eu la lucidité de critiquer la musicienne barbare pour son mauvais sens du rythme, sous les yeux d’un invité chaldéen venu de Mésopotamie. », lit-on dans ce texte.
Plusieurs autres passages apportent également un nouvel aperçu des circonstances de la corruption de l’oracle de Delphes par le philosophe académique Héraclide Pontique et des informations supplémentaires apparaissent sur un élève du grammairien Apollodore d’Athènes et du stoïque Mnésarque, décédé à l’âge de 63 ans en L’Italie pendant une pandémie de grippe. Connu jusque-là sous le nom de Philon de Larissa, il aurait en réalité été appelé « Philion ». La technologie suggère un possible déchiffrement des 600 derniers rouleaux de papyrus d’Herculanum qui n’ont pas encore été déroulés. « Entre mythe et légende, l’histoire continue de s’écrire », conclut Caroline Fourgeaud-Laville.