Au coin des rues Saint-Dominique et Ontario, au cœur du centre-ville de Montréal, la communauté autochtone peine à se remettre du décès de Sindy Wabanonik. La mère de famille a succombé à la vague d’overdoses qui y a touché neuf personnes dimanche dernier, laissant derrière elle une blessure béante.
«Ça me frappe, ça me secoue», murmure Jean-Cloudy, qui, comme Sindy Wabanonik, est originaire de la communauté anishnabe de Lac-Simon, en Abitibi-Témiscamingue. Ce jeudi soir, installé sous la tente de l’organisme Projets Autochtones du Québec (PAQ), rue Saint-Dominique à Montréal, il a décoré une carte à la mémoire de Sindy. « Je t’aime mon ami », peut-on lire au milieu des cœurs dorés.

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Jean-Cloudy décore une carte à la mémoire de Sindy.
Parler d’elle le bouleverse. Sa gorge se serre. Son voisin de table le serre dans ses bras. Un peu plus loin, Madeleine Shecapio sanglote.
Sindy était ma meilleure amie. Elle me manque tellement.
Madeleine Shecapio
Tant dans les rues avoisinantes que dans ce refuge pour Autochtones sans abri, la tension est vive. Dimanche dernier, neuf personnes ont dû être hospitalisées après avoir consommé des médicaments contaminés, créant une onde de choc. Sindy Wabanonik, mère de 42 ans et pilier de la communauté, n’a pas survécu.
Choc
Nicole Meecham, travailleuse du PAQ, en poste depuis seulement un mois, a été la première sur la ligne de front.

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Nicole Meecham, conférencière de l’organisme Projets Autochtones du Québec
Un membre de la communauté est venu nous dire qu’il y avait un groupe de personnes en surdose un peu plus loin dans la rue.
Nicole Meecham, conférencière de l’organisme Projets Autochtones du Québec
Attrapant la naloxone – le médicament qui peut inverser les effets d’une surdose d’opioïdes – elle s’est précipitée avec un agent de sécurité. Ils ont trouvé six personnes en arrêt respiratoire.

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La naloxone peut inverser les effets d’une surdose d’opioïdes et sauver des vies.
«C’était choquant de voir autant de personnes faire une overdose en même temps», raconte M.moi Meecham. « Nous avons administré de la naloxone, autant de doses que nous avions sur nous, et les secours sont arrivés très rapidement », décrit-elle.
Quelques jours plus tard, la scène le hante toujours. « Oui, nous sommes formés pour cela, souligne-t-elle, mais nous ne savons pas ce que c’est avant de l’avoir vécu. »
Porte son cœur sur sa manche
« Sindy était très vivante, très drôle. C’était le genre de personne qui faisait rire tout le monde », se souvient M.moi Meecham. « Elle a aussi fait partie de la communauté autochtone de Montréal pendant longtemps, et plusieurs personnes ressentent sa perte. »

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Sindy Wabanonik
Mère de trois enfants résidant en Abitibi-Témiscamingue, Sindy Wabanonik faisait la navette entre Montréal et sa ville natale. Son frère, Lucien Wabanonik, est chef de la communauté de Lac-Simon.
La mort de sa petite sœur, le « bébé de la famille », le touche profondément.

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Lucien Wabanonik, frère de Sindy Wabanonik, est chef de la communauté de Lac-Simon, en Abitibi-Témiscamingue.
C’était une bonne personne, serviable, souriante et ouverte d’esprit. (…) Elle aimait sa liberté, elle voulait aider à sa manière.
Lucien Wabanonik, frère de Sindy
Lorsque Lucien Wabanonik a appris que Sindy était aux soins intensifs en début de semaine, il n’a pas hésité une seconde : il a réuni la famille et a pris le long chemin jusqu’à Montréal.
Il ne s’attendait pas à retrouver Sindy inconsciente, ayant subi d’importantes lésions cérébrales après son overdose. Il ne s’attendait pas non plus à une vague de soutien et à des visites à l’hôpital. Des membres de la communauté autochtone de Montréal qui avaient apporté des cartes, témoignant de l’aide que Sindy leur avait offerte.
«Ils nous ont fait l’éloge d’elle», raconte M. Wabanonik. Elle les avait aidés pour la traduction (Sindy parlait plusieurs langues), la rédaction, la recherche d’un logement, du travail, leur donnant des numéros, des contacts. »

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Mémorial à la mémoire de Sindy Wabanonik, mercredi dernier
La perte est d’autant plus grande qu’à la connaissance de M. Wabanonik, Sindy s’en sortait mieux dans sa lutte contre la dépendance.
«Je l’ai vue il n’y a pas longtemps à Montréal, alors que j’étais en voyage d’affaires», se souvient-il. Je savais qu’elle s’en sortait, elle allait très bien. Elle était sur la bonne voie. »
Colère et incompréhension
A travers le deuil, la colère gronde aussi dans le centre-ville. «Avant la COVID-19, ce n’était pas comme ça au coin de Saint-Laurent et de l’Ontario», dénonce Robin, un résident du refuge PAQ qui n’a pas voulu donner son nom complet. « Les policiers passent, ils voient les trafiquants de drogue et ils ne font rien ! »

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Le refuge des Projets Autochtones du Québec pour personnes autochtones itinérantes est situé à l’Hôtel des Arts.
La drogue contaminée a été vendue par une personne « qui ne fait pas partie de la communauté indigène, mais que tout le monde connaît », précise également Nicole Meecham.
En 2017, une série d’overdoses liées au fentanyl a donné lieu à une enquête du Service de police de Montréal (SPVM) appelée Projet Asterios. En 2020, quatre hommes et une femme ont été condamnés dans le cadre de cette affaire.
Pour Lucien Wabanonik, la facilité de se procurer de la drogue à Montréal est « choquante » et l’aide pour lutter contre la dépendance est insuffisante. Sans parler du racisme auquel sont confrontés les membres des Premières Nations. Selon lui, « nous avons besoin de collaboration et d’actions concrètes pour aider nos populations qui en ont besoin. Beaucoup « .
L’histoire jusqu’ici
10 septembre
Neuf personnes, dont sept Autochtones sans abri, sont transportées à l’hôpital pour des surdoses qui pourraient être liées au fentanyl à Montréal.
le 11 septembre
La Direction régionale de santé publique (DRSP) lance une enquête « afin d’identifier les circonstances de ces surdoses et de déterminer avec la communauté les interventions de sensibilisation à bonifier ».
12 septembre
Sindy Wabanonik est décédée des suites de sa surdose, mais l’information n’a été confirmée publiquement par le SPVM que le 14 septembre.
13 septembre
Une veillée à la mémoire de Sindy Wabanonik a lieu à l’endroit où a eu lieu la série d’overdoses, soit la rue Saint-Dominique.
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