Vitesse excessive | Le balisage ne suffit pas dans les villages
Peindre des lignes et des chiffres supplémentaires sur l’asphalte ne suffit pas à inciter les automobilistes à ralentir, a constaté le ministère des Transports du Québec (MTQ) après un projet pilote mené dans une dizaine de municipalités.
Les automobilistes qui, durant l’été, passaient par Saint-Damien, dans Lanaudière, par Lantier, dans les Laurentides, ou par Sainte-Geneviève-de-Batiscan, en Mauricie, ont peut-être remarqué des motifs inhabituels sur la chaussée . Des bandes transversales ont été ajoutées de part et d’autre de la voie sur des sections de la route. Objectif : créer une illusion pour le conducteur qui traverse ces zones en lui donnant l’impression que son véhicule accélère, afin de l’inciter à ralentir. L’illusion n’a pas fonctionné, j’ai appris La presse.
«Ce n’est malheureusement pas concluant», a résumé la porte-parole du MTQ, Sarah Bensadoun.
Ces bandes transversales ont été testées dans huit communes. Les deux autres marquages évalués, à savoir des hachures sur le côté droit de la voie (trois communes) et la mention « 50 km/h » (deux communes) n’ont pas refroidi davantage l’enthousiasme. Seul le rappel de vitesse a pris effet, mais seulement pendant le premier mois, a déclaré Mmoi Bensadoun.
Ce « vaste projet pilote » portant sur « une vingtaine de sites partout au Québec » a été annoncé à l’été 2021 par le ministre François Bonnardel, alors responsable des Transports. Elle a finalement été menée sur 13 sites l’été et l’automne derniers. Les portions de routes provinciales choisies devaient être empruntées par moins de 1000 véhicules par jour, être droites sur au moins 200 mètres et ne présenter aucun aménagement ralentissant la circulation (ralentisseurs, stop, feu tricolore, accès à un commerce, etc.). Les inscriptions s’inspirent de Guide canadien de modération de la circulation de l’Association des transports du Canada.
PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS DU QUÉBEC
Un marquage à barres transversales, testé par le MTQ dans huit municipalités en 2022
PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS DU QUÉBEC
Un marquage hachuré, testé par le MTQ dans trois municipalités en 2022
PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS DU QUÉBEC
Marquage testé par le MTQ dans deux municipalités en 2022
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À Saint-Damien, les bandes croisées ont été peintes sur la route 347, entre le chemin du Grand-Monarque et la rue Joseph-Dubeau. « Il y a un impact nul, ça ne nous fait pas ralentir. J’étais vraiment en colère ! », a témoigné Mélanie Prescott.
En avril 2021, ses deux filles ont été renversées par une voiture alors qu’elles empruntaient le passage pour piétons menant au parc municipal sur la route 347, où la vitesse affichée est de 70 km/h.
Près de deux ans plus tard, l’aînée, Harmonie, aujourd’hui âgée de 13 ans, a toujours des cicatrices. Elle a été opérée des jambes, mais son traumatisme crânien lui cause des problèmes de mémoire. La jeune fille, qui réussissait auparavant très bien en classe, a dû refaire sa première année de collège et a été victime de brimades.
« Nous avons choisi de déménager pour sa santé mentale, il fallait repartir à zéro », a déclaré Mme.moi Prescott, qui continue de s’impliquer dans le groupe de mobilisation pour sécuriser le passage piétonnier à Saint-Damien. La municipalité a demandé à Québec de réduire la vitesse dans ce secteur, sans succès. L’annonce du marquage du MTQ, en août 2021, a donc suscité de vives critiques dans ce village de 2 200 habitants.
« Niveau Zéro »
« Je ne condamne pas le fait d’essayer, mais je ne suis pas surprise que ça ne marche pas », a commenté la directrice du Laboratoire piétons et espace urbain de l’INRS, Marie-Soleil Cloutier, à propos de l’ensemble du projet de balisage.
Dans des aires ouvertes comme une « rue MTQ » typique en milieu rural, peu d’études ont démontré une réelle réduction de la vitesse avec le marquage seul.
Marie-Soleil Cloutier, directrice du Laboratoire Piétons et espace urbain à l’INRS
Une voie large, avec un accotement goudronné et peu d’immeubles en bordure, fournit peu d’indices visuels donnant « envie de réduire la vitesse », explique le chercheur.
Des interventions telles que réduire la largeur de la chaussée, planter des arbres en bordure de route ou installer et signaler un radar sont plus efficaces car elles donnent « l’illusion que nous pénétrons dans des zones où nous avons besoin de réduire la vitesse ».
Et réduire la limite de vitesse ? Cela incite à ralentir, mais pas à la limite affichée, a trouvé son labo. « Le panneau fonctionne, mais c’est le niveau zéro. Dans un monde idéal, l’aménagement physique devrait être modifié pour que les gens réduisent spontanément leur vitesse. »
Les critères utilisés par le ministère pour accepter de réduire la vitesse sur l’une de ses routes sont pourtant « assez sévères », note M.moi Cloutier. « Ça manque un peu de souplesse et de prise en compte du contexte local. »
Selon elle, « un passage piéton sur une route à 70 km/h ne devrait pas être autorisé ».
Le MTQ a demandé à Saint-Damien de proposer des plans d’aménagement routier et piétonnier. Ces plans sont en cours d’analyse, précise le ministère. « Il n’est pas impossible qu’on baisse la vitesse après », précise Mmoi Bensadoun.
En ne sécurisant pas le passage pour piétons menant au parc municipal de Saint-Damien, « on nous a dit que nos vies valaient moins que celles des automobilistes », avait dénoncé Harmonie dans une lettre au ministre des Transports l’an dernier.
Agissez, ne nous laissez pas être une autre statistique dans vos tristes records routiers.
Harmonie, 13 ans, dans une lettre au ministre des transports l’année dernière
Une dizaine de maires ont d’ailleurs lancé un cri du cœur l’an dernier. Les routes sous la gestion du MTQ, qui sont souvent la rue principale d’un village, sont « de véritables obstacles à la sécurité des sentiers pédestres et nuisent à la qualité de vie de la population », ont-ils souligné dans une lettre ouverte publiée dans les pages de La presse.
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