“JEJe suis beaucoup moins insouciant que lui, je n’ai pas sa popularité, j’ai encore tout à prouver ! » Ainsi résumait Victor Belmondo, dans une interview à Indiquer de février 2023, ce qui le différencie de son célèbre grand-père. De ces trois affirmations, la dernière – au moins – est sérieusement mise à mal par la sortie de Vivre, mourir, renaîtrele beau film de Gaël Morel sur un triangle amoureux en pleine épidémie de sida.
Dans le rôle de Cyril (un prénom qui rend hommage à Cyril Collard), l’acteur donne la pleine mesure d’un talent déjà deviné ici et là, notamment dans la série Bardot où il interprète le rôle de Roger Vadim. « Ce film est très important pour moi, nous confirme-t-il via un écran depuis son appartement de l’est parisien, dès que j’ai rencontré Gaël j’ai ressenti quelque chose de fort, et la lecture du scénario m’a vraiment ému. » Le scénario, remarquable par sa profondeur et sa fluidité narrative, est co-écrit par Gaël Morel – découvert comme acteur dans Roseaux sauvages (1994) d’André Téchiné, devenu depuis une figure du cinéma d’auteur – et Laurette Poelmans dont le travail a été remarqué pour le film de Jessica Palud sur le destin tragique de Maria Schneider, Marie.
Il s’agit de trois jeunes gens : Cyril, photographe solitaire, Sammy (Théo Christine), conducteur de métro, et Emma (Lou Lampros), sage-femme. Chacun a une vie à part, une existence sociale et familiale : Nathan (Hélyos Johnson), le petit garçon de Sammy et Emma, est considéré comme l’égal des autres personnages. Et chacun tombe amoureux de l’autre : Cyril a une liaison d’abord clandestine avec Sammy, tout en aimant Emma comme une amie et en devenant une présence bienveillante dans la vie de Nathan. Le cycle des sentiments s’arrête lorsque Sammy tombe malade…
À LIRE AUSSI André Téchiné : « Je ne suis pas mort ! » Victor Belmondo, né en 1993, a le sentiment d’avoir réalisé un film d’époque qui remonte le temps jusqu’au début des années 1990, quand le mot « séropositif » sonnait comme une condamnation à mort. « Le grand guide pour nous, les acteurs, c’était Gaël, dit-il, parce qu’il a vécu cette période de front. Il nous a nourris tout au long de la préparation et du tournage de références de ces années-là, d’anecdotes, de souvenirs. Il nous a parlé d’Hervé Guibert, de Cyril Collard, que je ne connaissais que de loin. J’avais vu Nuits sauvages mais je n’avais jamais lu Guibert. Dans ma génération, on commence à avoir la liberté de s’aimer comme on le souhaite. Le film aborde toutes les formes d’amour – homosexuel, hétérosexuel, mais aussi familial et amical – sans jugement. Il n’y a pas qu’une seule façon d’aimer, c’est très beau, cela ne veut pas dire que le film délivre un message. Il montre l’évidence des sentiments. Ce n’est pas du tout un film sur la mort, un film qui tombe dans le pathos ou les larmoyants. C’est un film qui nous invite à célébrer l’amour, la jeunesse et la vie.
Remettre
La ressemblance troublante de Victor (fils de Paul et Luana Belmondo) avec son grand-père à l’époque L’homme de Rio et l’utilisation par Gaël Morel de la musique de Georges Delerue, le grand compositeur de la Nouvelle Vague, donnent une résonance particulière à Vivre, mourir, renaîtreComme si un relais se passait entre les années 1960 et aujourd’hui. On voit aussi le chemin parcouru dans le contexte du cinéma français : c’est en effet tout naturellement que le trentenaire incarne ce personnage, homosexuel et séropositif, là où il y a trente ans aucun acteur célèbre ne se serait aventuré. « Je rencontre le cinéaste, je suis touché ou pas par ce que je lis, j’ai envie de défendre le personnage ou pas… C’est la question. Je ne choisis pas un film en fonction de l’orientation sexuelle d’un personnage… Ce ne sont pas du tout des questions qui me traversent l’esprit », dit-il.
À LIRE AUSSI Mathieu Lindon : Les années romainesNourri par les grands films américains – Manchester by the Sea, mon propre Idaho privé, Brokeback Mountain font partie des DVD offerts par Gaël Morel qu’il conservait dans sa vidéothèque personnelle – l’acteur a d’ailleurs vécu un véritable coup de foudre pour Modestie ou impudeur par Hervé Guibert : « Quiconque voit ce film ne l’oublie pas. C’est un geste cinématographique qui, une fois qu’on l’a vu, vous habite et ne vous quitte plus. »
Souvent décrit comme la chronique d’une mort annoncée, le film signé par l’écrivain en 1991 documente le temps de la maladie. Seul devant la caméra (c’était le début des petites caméras maniables qui permettaient à chacun de s’improviser cinéaste), l’auteur de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie fait du cinéma comme il écrit de l’autofiction, avec une sobriété émouvante. Dans l’émotion qui saisit Victor Belmondo à l’évocation de cette expérience cinématographique si particulière, on sent que l’acteur – que l’on verra bientôt avec Olivier Marchal dans Bastion 36 (sur Netflix en 2025) – n’en a pas fini avec le cinéma d’auteur de haut vol.
Vivre, mourir, renaîtredans la pièce