Chaque samedi, nous décryptons les enjeux climatiques avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme et membre du GIEC.
Publié
Temps de lecture : 4 min
François Gemenne s’intéresse à l’épargne française. Le problème, selon lui, « Notre économie reste largement ancrée dans les énergies fossiles, donc votre épargne finance également des projets d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz, ou encore des projets de déforestation ». Partant du constat que les montants de l’épargne privée en France sont estimés “entre 4 000 et 6 000 milliards d’euros“, suggère-t-il plutôt d’investir cet argent dans la transition énergétique.
François Gémenne : Je suis sûr que vous faites déjà plein de choses pour réduire votre empreinte carbone : transports en commun, circuits courts, alimentation, réutilisation, etc. Mais vous n’avez peut-être pas pensé à votre argent. Alors qu’en fait, pour peu que vous ayez un peu d’économies, c’est certainement là que se situe une bonne partie de votre empreinte carbone.
Le but de l’épargne, d’un point de vue macroéconomique, est de financer l’économie, en échange d’une rémunération pour l’épargnant. Le problème est que notre économie reste largement ancrée dans les énergies fossiles, donc votre épargne finance également des projets d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz, ou encore des projets de déforestation.
“Je suis prêt à parier que la plupart des épargnants n’ont aucune idée de ce que leur argent finance.”
François Gémennefranceinfo
Et s’ils le savaient, je pense même que pas mal d’entre eux ne seraient pas d’accord que leur argent serve à ça.
franceinfo : Que pouvons-nous faire ?
On peut évidemment changer de banque, et des banques durables apparaissent sur le marché, mais ce n’est pas toujours évident. Et puis, les banques traditionnelles évoluent aussi. Par exemple, à la fin de l’année dernière, le Crédit Agricole a annoncé son intention de ne plus financer de nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles, suite à la COP28. Mais ces projets trouveront des financements ailleurs. On peut supposer que c’est une des raisons pour lesquelles TotalEnergies annonce son intention d’être coté à la Bourse de New York, car les actionnaires européens veulent vendre leurs actions et n’en achètent plus.
Mais aujourd’hui, j’aimerais surtout vous parler de ce que votre argent pourrait financer, et pas seulement de ce qu’il ne financerait pas. Parce qu’il va nous falloir beaucoup d’argent pour financer la transition et on voit bien que les poches des gouvernements sont vides, et qu’on commence déjà à couper les budgets, alors qu’il faudrait les décupler. . Or, l’épargne privée en France représente beaucoup d’argent. Les montants sont estimés entre 4 000 et 6 000 milliards d’euros.
“À elle seule, l’assurance vie, qui est le produit d’épargne préféré des Français, représente 1 800 milliards d’euros.”
François Gémennefranceinfo
En comparaison, le PIB annuel de la France est d’environ 2 600 milliards d’euros.
C’est gigantesque ! Imaginez que si une fraction de cet argent était investie dans la transition, de grandes choses pourraient se produire. Alors, comment faire ? Il y a d’abord les fonds qui portent le label ISR, pour « Investissement Socialement Responsable », et qui sont proposés par toutes les banques. Le problème, c’est que jusqu’à fin 2023, on trouvait un peu d’absurdités, dont beaucoup de greenwashing, derrière cette étiquette. Le ministère de l’Économie a mis de l’ordre dans tout cela en ce début d’année, mais les fonds ISR restent peu connus et peu appréciés. Les Français s’en méfient souvent, sont mal informés, pensent qu’ils rapportent moins que les autres, etc.
« La première priorité est de mieux informer et d’être plus transparentes envers les épargnants – toutes les banques devraient emprunter cette voie. »
François Gémennefranceinfo
Mais il y a aussi des choses que le gouvernement peut faire.
Par exemple ?
Je vais vous donner deux exemples. Dans le passé, de nombreux projets d’utilité publique étaient financés par des souscriptions publiques : monuments ou lignes de train, notamment. On pourrait imaginer que des projets locaux pour la transition, en matière d’énergie, de transports, de logement, puissent à nouveau être financés par ce biais, par exemple via l’émission d’obligations. Mais pour cela, il faudrait que les départements et les grandes villes puissent avoir accès au marché obligataire. Pour l’instant, seules les régions y ont accès et elles n’utilisent pas beaucoup ce moyen.
“Une autre idée serait de moduler les droits de succession.”
François Gémennefranceinfo
La génération des baby-boomers va transmettre énormément de biens immobiliers à leurs enfants et petits-enfants : maisons, appartements, studios, etc. Ne pourrait-on pas imaginer réduire les droits de succession si les baby-boomers effectuaient une rénovation énergétique de leur puits avant de le transmettre ? Je suis sûr que nous pourrions trouver les milliards nécessaires pour rénover les logements comme celui-là. Et ce serait également un bon moyen de compenser les émissions passées.
Chaque samedi, nous décryptons les enjeux climatiques avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme et membre du GIEC.
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François Gemenne s’intéresse à l’épargne française. Le problème, selon lui, « Notre économie reste largement ancrée dans les énergies fossiles, donc votre épargne finance également des projets d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz, ou encore des projets de déforestation ». Partant du constat que les montants de l’épargne privée en France sont estimés “entre 4 000 et 6 000 milliards d’euros“, suggère-t-il plutôt d’investir cet argent dans la transition énergétique.
François Gémenne : Je suis sûr que vous faites déjà plein de choses pour réduire votre empreinte carbone : transports en commun, circuits courts, alimentation, réutilisation, etc. Mais vous n’avez peut-être pas pensé à votre argent. Alors qu’en fait, pour peu que vous ayez un peu d’économies, c’est certainement là que se situe une bonne partie de votre empreinte carbone.
Le but de l’épargne, d’un point de vue macroéconomique, est de financer l’économie, en échange d’une rémunération pour l’épargnant. Le problème est que notre économie reste largement ancrée dans les énergies fossiles, donc votre épargne finance également des projets d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz, ou encore des projets de déforestation.
“Je suis prêt à parier que la plupart des épargnants n’ont aucune idée de ce que leur argent finance.”
François Gémennefranceinfo
Et s’ils le savaient, je pense même que pas mal d’entre eux ne seraient pas d’accord que leur argent serve à ça.
franceinfo : Que pouvons-nous faire ?
On peut évidemment changer de banque, et des banques durables apparaissent sur le marché, mais ce n’est pas toujours évident. Et puis, les banques traditionnelles évoluent aussi. Par exemple, à la fin de l’année dernière, le Crédit Agricole a annoncé son intention de ne plus financer de nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles, suite à la COP28. Mais ces projets trouveront des financements ailleurs. On peut supposer que c’est une des raisons pour lesquelles TotalEnergies annonce son intention d’être coté à la Bourse de New York, car les actionnaires européens veulent vendre leurs actions et n’en achètent plus.
Mais aujourd’hui, j’aimerais surtout vous parler de ce que votre argent pourrait financer, et pas seulement de ce qu’il ne financerait pas. Parce qu’il va nous falloir beaucoup d’argent pour financer la transition et on voit bien que les poches des gouvernements sont vides, et qu’on commence déjà à couper les budgets, alors qu’il faudrait les décupler. . Or, l’épargne privée en France représente beaucoup d’argent. Les montants sont estimés entre 4 000 et 6 000 milliards d’euros.
“À elle seule, l’assurance vie, qui est le produit d’épargne préféré des Français, représente 1 800 milliards d’euros.”
François Gémennefranceinfo
En comparaison, le PIB annuel de la France est d’environ 2 600 milliards d’euros.
C’est gigantesque ! Imaginez que si une fraction de cet argent était investie dans la transition, de grandes choses pourraient se produire. Alors, comment faire ? Il y a d’abord les fonds qui portent le label ISR, pour « Investissement Socialement Responsable », et qui sont proposés par toutes les banques. Le problème, c’est que jusqu’à fin 2023, on trouvait un peu d’absurdités, dont beaucoup de greenwashing, derrière cette étiquette. Le ministère de l’Économie a mis de l’ordre dans tout cela en ce début d’année, mais les fonds ISR restent peu connus et peu appréciés. Les Français s’en méfient souvent, sont mal informés, pensent qu’ils rapportent moins que les autres, etc.
« La première priorité est de mieux informer et d’être plus transparentes envers les épargnants – toutes les banques devraient emprunter cette voie. »
François Gémennefranceinfo
Mais il y a aussi des choses que le gouvernement peut faire.
Par exemple ?
Je vais vous donner deux exemples. Dans le passé, de nombreux projets d’utilité publique étaient financés par des souscriptions publiques : monuments ou lignes de train, notamment. On pourrait imaginer que des projets locaux pour la transition, en matière d’énergie, de transports, de logement, puissent à nouveau être financés par ce biais, par exemple via l’émission d’obligations. Mais pour cela, il faudrait que les départements et les grandes villes puissent avoir accès au marché obligataire. Pour l’instant, seules les régions y ont accès et elles n’utilisent pas beaucoup ce moyen.
“Une autre idée serait de moduler les droits de succession.”
François Gémennefranceinfo
La génération des baby-boomers va transmettre énormément de biens immobiliers à leurs enfants et petits-enfants : maisons, appartements, studios, etc. Ne pourrait-on pas imaginer réduire les droits de succession si les baby-boomers effectuaient une rénovation énergétique de leur puits avant de le transmettre ? Je suis sûr que nous pourrions trouver les milliards nécessaires pour rénover les logements comme celui-là. Et ce serait également un bon moyen de compenser les émissions passées.