Dupés, les Sri Lankais combattent en Ukraine et ne reviennent pas

Le Sri Lanka a encouragé les recherches d’emploi à l’étranger après le déclenchement d’une crise économique en 2022, mais peine désormais à retrouver ses ressortissants qui, parfois victimes de fausses promesses, se battent en Ukraine d’un côté ou de l’autre du front.

Sans nouvelles depuis des mois, des familles désemparées demandent aux autorités de leur venir en aide.

« Ce que nous demandons, c’est d’aider à faire revenir nos maris », explique Renuka Karunaratne, 49 ans. Son mari a été trompé par un intermédiaire perfide, à qui elle dit avoir payé 10 000 dollars, une pratique dénoncée par de nombreuses familles.

« Nous avons vendu tout ce que nous possédions, y compris les bijoux », « nous avons même hypothéqué une partie de notre maison », déplore Mme Karunaratne devant l’ambassade de Russie à Colombo, où elle manifeste pour exiger le retour de son mari.

En mai, le Parlement de Colombo a ouvert une enquête pour retrouver plus de 2 000 Sri Lankais engagés du côté russe comme du côté ukrainien, dans les forces armées ou parmi des mercenaires.

Selon le gouvernement, une dizaine de Sri Lankais sont prisonniers de guerre en Ukraine. Et au moins 16 Sri Lankais sont morts et 37 autres ont été blessés à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, selon les médias.

Mais ni Moscou ni Kiev ne communiquent sur le nombre d’étrangers, pour la plupart originaires d’Asie du Sud, servant dans leurs rangs ou détenus comme prisonniers de guerre.

– « Ils perdent espoir » –

Une crise économique sans précédent a frappé le Sri Lanka début 2022. Le pays, à court de devises étrangères, ne pouvait plus importer de nourriture, de carburant et d’autres produits de première nécessité, et a fini par faire défaut sur sa dette extérieure.

Nilmini Chandima Dissanayake, 41 ans, raconte que la crise a poussé son mari, un ancien militaire, à partir en Russie, à plus de 6 000 km de là.

« Mon mari a été dans le régiment commando pendant 22 ans », raconte-t-elle à l’AFP. « Il avait pris sa retraite, il avait fait plusieurs petits boulots mais trouvait que cela ne suffisait pas pour s’en sortir. »

Des publicités publiées sur des groupes WhatsApp de militaires à la retraite promettaient des salaires mensuels supérieurs à 2 100 dollars, soit 13 fois le revenu moyen au Sri Lanka.

Les familles ont également été attirées par les promesses de terres en Russie, où elles pourraient s’installer.

Selon l’ambassadeur russe Levan Djagarian, « de nombreux » visas ont été délivrés aux Sri Lankais. Mais, insiste-t-il, ils n’ont pas communiqué la raison de leur départ pour Moscou.

Mme Dissanayake n’a plus de nouvelles de son mari depuis le 1er mai, un mois après son arrivée à Moscou pour, pensait-il, être affecté à un poste qui ne nécessitait pas de prendre les armes.

« Son dernier appel était pour le supplier de le ramener à la maison », se souvient-elle. « Chaque jour qui passe, ils perdent espoir de survivre. »

– « Dupé » –

La police sri lankaise a arrêté deux généraux à la retraite pour avoir travaillé illégalement comme recruteurs pour des sociétés de mercenaires russes. Six autres personnes ont été arrêtées pour les avoir aidés.

Au moins 22 Sri Lankais ayant rejoint les forces russes ont réussi à déserter et à retourner dans leur pays, selon des responsables de la Défense.

« Ils ont été trompés », a déclaré à l’AFP le porte-parole du ministère de la Défense, Nalin Herath.

Parmi eux, Anil Madusanka, chauffeur d’hôtel de 37 ans. Blessé aux jambes par des éclats d’obus, il se rétablit chez lui après sept semaines terrifiantes en Russie.

« Beaucoup de gens connaissent des problèmes économiques et c’est pourquoi ils partent en Russie ou en Ukraine », explique-t-il.

Au lieu du travail de chauffeur qui lui avait été promis, il s’est retrouvé avec un fusil d’assaut en train de combattre les forces ukrainiennes. Blessé et hospitalisé, il a réussi à rejoindre l’ambassade du Sri Lanka à Moscou, qui a organisé son rapatriement le 25 mai.

« J’ai de la chance d’avoir pu m’échapper », murmure-t-il.

Tharaka Balasuriya, ministre d’Etat aux Affaires étrangères, affirme que son pays, neutre vis-à-vis de la guerre en Ukraine, fait pression sur Kiev pour qu’elle libère les prisonniers de guerre, et enverra une délégation à Moscou pour faire la même demande.

Et d’assurer : « si les Sri Lankais se trouvent dans une situation dangereuse, il est du devoir du gouvernement (…) de veiller à ce qu’ils rentrent sains et saufs ».

aj-jnd/chv