« La généralisation du vote RN reflète un malaise social qui dépasse la question du racisme »

    Luc Rouban à Sciences Po Paris, le 31 mai 2023.

Luc Rouban est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique et travaille au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Ses travaux portent sur la sociologie des élites, l’évolution de la démocratie représentative et la vie politique. Il a publié La vraie victoire du RN (Presses de Sciences Po, 2022).

Ces élections ont-elles redessiné la sociologie du vote pour le Rassemblement national ?

Il existe généralement une généralisation sociologique du vote pour le Rassemblement national (RN). Hormis quelques grandes villes, la fête arrive partout en tête. Extension qui touche les classes moyennes et supérieures, y compris les cadres : cette généralisation reflète un malaise social profond, qui dépasse bien la question de la xénophobie et du racisme, qui caractérisait le Front national.

Pouvons-nous distinguer des facteurs communs au vote RN au sein de catégories de population aussi diverses ?

Le premier printemps du vote est un sentiment de déchéance sociale aux facteurs multiples : le sentiment qu’un diplôme n’assure plus la mobilisation sociale d’autrefois ; perte de valeur sur le marché du travail ; un déclin perceptible même au sein de la cellule familiale, avec le sentiment de vivre moins bien que la génération d’en haut et la crainte que ce soit encore pire pour celles d’en bas. Tous ces phénomènes de dégradation du rapport au travail ou à la mobilité traduisent un scepticisme à l’égard du modèle méritocratique républicain.

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La deuxième source du vote RN est, selon moi, une demande d’autorité, non pas dans le sens d’un autoritarisme à la tête du pays, mais d’un retour à la proximité et à l’efficacité de l’appareil d’État dans l’exercice du pouvoir. ses missions. Justice, sécurité, santé, transports, réseaux routiers : la confiance des Français s’est dégradée non pas dans les services publics en tant que tels, mais dans la capacité des structures étatiques à changer la réalité quotidienne. Emmanuel Macron symbolise, à cet égard, l’échec de celui qui se présentait, en 2017, comme un libéral efficace, un manager.

Catégorie socioprofessionnelle, âge, diplôme, lieu de résidence : le vote RN est-il libre de tout déterminisme ?

La sociologie du vote RN ne repose plus sur une structuration en termes de classes ou de catégories socioprofessionnelles, mais sur une structuration en termes de classification subjective de l’individu dans la société. L’électeur ne se définit plus selon les groupes définis par l’Institut national de la statistique et des études économiques, mais selon une représentation de sa propre situation, de sa dynamique sociale. Le vote RN est donc moins une question de « mécontentement » ou de « colère », comme on le résume parfois, mais d’une analyse négative de sa propre trajectoire, que la personne se sent méprisée, pas assez reconnue, ou qu’elle s’estime victime. d’insécurité généralisée, d’un manque de visibilité sur l’avenir.

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