Pourquoi une partie de la Nouvelle-Calédonie souhaite-t-elle son indépendance et que veulent ses partisans ?

A Nouméa, des émeutes éclatent depuis deux jours et deux nuits. La capitale de l’archipel de Nouvelle-Calédonie compte déjà trois décès, au moment où à Paris, au sein de l’Assemblée nationale, a été adoptée hier une réforme constitutionnelle qui prévoit l’élargissement du corps électoral sur l’île. Le projet de loi doit encore être soumis au vote du Parlement.

Mais en Nouvelle-Calédonie, à 16 000 kilomètres de là, le texte est fermement dénoncé par les indépendantistes, qui condamnent néanmoins les violences et appellent à l’apaisement. Leur crainte : que la voix kanak perde du poids lors des élections. Mais qui sont-ils et que représentent-ils ?

En Nouvelle-Calédonie, 41 % de la population (soit 111 000 individus) est Kanak, un peuple autochtone qui partage son territoire avec les « Caldoches » (les habitants métis, d’origine polynésienne, métropolitaine ou asiatique). La civilisation kanak descend des Lapitas, dont la présence est documentée en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 3 000 ans.

Après un premier contact avec les Européens (et l’explorateur James Cook, qui nomma le pays Nouvelle-Calédonie) en 1774, la société fut profondément transformée ; le fer remplace la pierre, de nouvelles espèces animales sont introduites et l’alcool apparaît. Les Kanaks se mêlèrent aux nouveaux arrivants jusqu’à ce que Napoléon III, souhaitant renforcer la présence française dans le Pacifique, proclame l’archipel « colonie française » le 24 septembre 1853, devant les Britanniques.

Face à l’arrivée massive de nouveaux habitants (et de nombreux bagnards politiques venus de France et d’Afrique), les Kanak se révoltèrent à plusieurs reprises au cours du XIXe siècle. Mais ils restent malmenés par les autorités coloniales, qui finissent par leur accorder la nationalité française et le droit de vote à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Après plusieurs décennies de divisions politiques internes, c’est dans les années 1980 que la violence atteint son paroxysme. Une insurrection éclate, créant deux camps bien distincts : les opposants et les partisans de l’indépendance.

De 1984 jusqu’au drame de la prise d’otages de 27 gendarmes à Ouvéa en 1988, les « Événements » ont fait de nombreux morts des deux côtés. Un gouvernement parallèle et clandestin, le Gouvernement Provisoire de Kanaky, prend le contrôle de certaines zones. C’est également à cette période qu’est né le FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) : c’est à travers ce rassemblement de partis politiques que les indépendantistes kanak s’expriment depuis maintenant quarante ans.

En juin 1988, la paix civile est enfin rétablie grâce à la signature des accords de Matignon. Mais avec les nouvelles émeutes de mai 2024, le spectre des violences d’il y a quarante ans plane à nouveau sur la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, l’archipel calédonien conserve plusieurs symboles liés à l’identité kanak et souvent mis en avant par les indépendantistes : un hymne, une devise, des billets de banque… Mais depuis 1984, les indépendantistes du FLNKS ont aussi créé leur propre drapeau (non officiel) et souhaitent renommer la Nouvelle-Calédonie « Kanaky », en référence aux peuples autochtones.

Mais tous les séparatistes ne sont pas d’accord sur tous les détails ! Au sein du FLNKS, l’Union calédonienne (UC) représente le parti principal, ainsi que le plus ancien. Derrière le slogan « Deux couleurs, un peuple », ils réclament une négociation « d’État à État » entre la France et la Nouvelle-Calédonie, une fois obtenue l’indépendance socialiste kanak. Un véritable sujet de désaccord avec un autre parti du FLNKS, le Parti Kanak de Libération (Palika), qui prône pour sa part « l’indépendance avec le partenariat ».

A l’UC, le président du mouvement Daniel Goa a réclamé, dans le cadre d’un calendrier précis, l’accession du pays à la pleine souveraineté en 2025 et la création, en même temps, d’une assemblée constituante. Autant de dates qui importent peu à Palika, comme le rapporte Le Monde.

« Nous le disons depuis dix ans, ce que nous voulons, c’est l’indépendance avec le partenariat. Il y a des compétences que nous ne sommes pas capables d’assumer, comme la défense. Il faut discuter, pour que la France voie comment elle peut concilier ses intérêts avec ceux de la Calédonie. Charles Washetine, porte-parole du mouvement Pakia.

Parmi les promesses des accords de Matignon en 1988 figurait celle d’un référendum permettant aux Calédoniens de voter pour ou contre l’indépendance.

Repoussé à plusieurs reprises, le premier vote a finalement eu lieu en 2018. À la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », c’est le « non » qui l’a emporté. 56,4%. Rebelote en 2020, le bilan est quasiment similaire. Une nouvelle fois, un référendum est prévu pour 2021 mais, boycotté par les indépendantistes, il donne à 96 % non à l’indépendance.

Depuis ces trois rejets, des négociations se sont ouvertes entre loyalistes et indépendantistes pour déterminer un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française.

Côté métropole, plusieurs partis de gauche français (comme le PCF) souhaitent poursuivre la décolonisation amorcée par les accords de Matignon. A droite et à l’extrême droite, certains Républicains (Laurent Wauquiez, Eric Ciotti) et Marine Le Pen se sont prononcés contre l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Emmanuel Macron a annoncé sur place son souhait de voir une citoyenneté calédonienne « pleine et entière ».

Ce mercredi 15 mai, face à l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie, le président de la République a convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale. Son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a « condamné avec la plus grande fermeté les violences » entre policiers et émeutiers.